Des plantes génétiquement modifiées pour combattre la malnutrition?

28 décembre 2020
par Camille Stassart
Temps de lecture : 5 minutes

1.500.000.000, c’est le nombre de personnes qui ne peuvent pas se permettre un régime alimentaire conforme aux niveaux requis de nutriments essentiels. En 2019, on estimait qu’au moins 340 millions d’enfants souffraient de carences en micronutriments. Souvent peu visibles, elles se regroupent sous l’expression «faim cachée». Les carences plus sévères ont un impact clair sur la santé et le développement : retard de croissance, cécité, troubles respiratoires et cardiaques, etc. Pour lutter contre cette forme de malnutrition, plusieurs scientifiques préconisent une solution encore controversée : la biofortification par génie génétique.

Etat de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde en 2020 © UNICEF, WHO, World Bank
Etat de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde en 2020 © UNICEF, WHO, World Bank

Une technologie prometteuse pour le sud

« Ce processus consiste à sélectionner des variétés de plantes par génie génétique, dans le but d’augmenter la valeur nutritionnelle. L’intérêt étant de fournir aux populations locales des cultures offrant un taux accru en micronutriments », indique l’un des auteurs, Hervé Vanderschuren, professeur en biotechnologie végétale à Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège) et à la KULeuven.

Ce procédé représente surtout une piste pour les pays en voie de développement, où l’accès à une alimentation variée reste compliqué, en raison de coût élevé et/ou de la difficulté d’approvisionnement.

« En enrichissant en nutriments les plantes habituellement cultivées et consommées dans ces pays, on serait à même de proposer aux populations pauvres des aliments riches à un prix abordable », assure le scientifique.

À la différence de la biofortification par sélection conventionnelle – qui se base sur le croisement d’une plante naturellement riche en nutriments avec une autre, suivi de la sélection, au fil du temps, de la progéniture la plus nutritive –, celle par génie génétique permet de s’affranchir de la reproduction, et donc d’améliorer plus rapidement la valeur nutritionnelle d’une plante.

Le riz doré, en haut à droite, comparé au riz blanc © International Rice Research Institute

De la transgenèse…

L’un des moyens de le faire est de transférer un gène d’une espèce, dans le génome d’une autre. La plante sera de cette manière capable d’exprimer un nouveau caractère, qui se transmettra d’une génération à l’autre. Un exemple emblématique est le riz « doré », destiné à combler les carences en vitamines A. Il est actuellement commercialisé aux Philippines, en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Canada, et aux États-Unis.

Cette technique reste néanmoins contestée puisqu’elle signifie introduire un caractère héréditaire, lequel ne serait pas apparu à travers l’évolution naturelle de la plante. D’où l’intérêt croissant pour les nouvelles technologies d’édition du génome, telles que le système CRISPR/Cas9, lauréat du Prix Nobel de chimie 2020.

…à la mutagenèse

Cette technologie offre une alternative moins critiquée puisqu’elle permet de modifier directement le code génétique de la plante, en vue de provoquer des variations génétiques. Aucun ajout de gènes extérieurs à l’organisme n’est donc effectué. Selon le professeur Vanderschuren, cette méthode s’avère utile quand la sélection conventionnelle est inapplicable :

« Si l’on découvrait, par exemple, une variété de banane “A” nettement plus nutritive, mais toxique pour l’humain, on ne pourrait pas simplement la croiser avec une variété “B” domestiquée. Ce serait prendre le risque de se retrouver avec des progénitures immangeables. Le meilleur moyen serait donc de déterminer quelles mutations dans son génome la rend capable de synthétiser tel ou tel nutriment en quantité. Puis d’aller modifier le code génétique de la variété “B” afin d’activer cette variation génétique précise. Ce ne sont donc pas des organismes transgéniques, car les modifications réalisées dans le génome de la plante sont naturellement présentes dans la diversité de l’espèce », affirme-t-il.

Des pratiques vues d’un mauvais œil par l’Europe

Plusieurs cultures (banane, blé, riz, patate douce, haricot…) font à ce jour l’objet d’études pour être enrichies en divers nutriments. Toutefois, même le principal programme de recherche dans le domaine, HarvestPlus, reconnaît miser plutôt sur la sélection conventionnelle, en raison d’obstacles réglementaires relatifs à la biofortification par génie génétique.

De fait, l’Europe considère les plantes biofortifiées par génie génétique comme des OGM. Que leur génome soit modifié par mutagenèse ou transgenèse. Et l’UE mène une politique stricte sur la culture et la commercialisation de ces produits.

Des freins politiques et économiques

« L’Europe applique un principe de précaution assez sévère sur les technologies d’amélioration végétale », confirme le Pr. Vandershcuren. « Et il est clair que dans les pays comme le nôtre, où nous avons facilement accès à un régime diversifié, nous n’avons pas forcément besoin de ces produits enrichis en nutriments. On peut donc juger qu’il n’est pas nécessaire de revoir ce principe. Cependant, par ce refus, l’Europe influence aussi l’adoption de ces technologies dans les états commerçant avec elle. Dont ceux en voie de développement. »

Si un pays d’Asie décidait demain du cultiver du riz OGM enrichi en zinc, il serait obligé d’assurer une séparation des filières pour éviter les contaminations. Ce qui serait difficile à organiser et mettrait en péril ses accords d’exportation vers l’Europe. « Or, les gouvernements ne sont pas prêts à prendre ce risque, même si cela serait au bénéfice de la population », précise le Pr. Vanderschuren.

Pour lui et ses collègues, ces technologies végétales ne devraient pas être négligées. Tout en insistant sur l’idée qu’elles ne représentent pas l’unique solution : « Il est assez clair qu’elles ne mettront pas fin aux carences alimentaires dans le monde. La problématique est bien plus vaste. Mais ces techniques doivent, selon nous, faire partie de la “boîte à outils” et être exploitées quand cela est nécessaire et pertinent », conclut-il.

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