Avant de prendre le chemin de l’orbite, nombre de satellites et d’instruments spatiaux sont testés au Centre Spatial de Liège (CSL), dont l’excellence est reconnue mondialement. C’est le cas de 3MI, un instrument de télédétection développé par l’Organisation européenne pour l’exploitation des satellites météorologiques (EUMETSAT) et l’agence spatiale européenne (ESA). “Nous sommes en train de finaliser l’analyse des données. Avec 3MI, c’est la première fois que nous prenons une responsabilité globale, que l’on rentre complètement dans l’instrument spatial”, se réjouit Pr Serge Habraken, directeur du CSL. De quoi ouvrir, aux Liégeois, grand les portes de nouvelles perspectives scientifiques.
Un outil pour suivre l’évolution du climat
L’acronyme 3MI reflète les capacités multi-vues, multicanaux et multipolarisation de l’instrument. Développé par une société italienne dénommée Leonardo (basée à Florence), il s’agit d’un radiomètre, soit d’un instrument mesurant l’intensité du flux de rayonnement électromagnétique, dans différents domaines de longueurs d’onde.
3MI volera en orbite polaire héliosynchrone. “Cela signifie qu’il passera au-dessus du même point terrestre chaque fois à même heure solaire. Il recevra donc la même luminosité, ce qui permettra de comparer aisément les images prises.”
“Il passera d’un pôle à l’autre à 800 km d’altitude. Et tournera autour de la Terre toutes les 100 minutes environ. Le but de l’instrument est d’observer les aérosols, les interactions de ceux-ci avec les nuages. Mais aussi de mesurer l’albédo, c’est-à-dire la réflexion du rayonnement solaire qui vient de la Terre. Cette série d’analyses fournira des informations sur l’évolution du climat”, explique Christophe Grodent, directeur commercial du CSL.
3MI sera construit en 3 exemplaires. Ils seront lancés à bord des satellites météorologiques, développés conjointement par EUMETSAT et l’ESA, MetOp-SG-A1, MetOp-SG-A2 et MetOp-SG-A3 en 2023, 2030 et 2037, respectivement.
Simulation de l’environnement spatial
Mais avant de le placer en orbite, il faut s’assurer que l’instrument, construit sur Terre, sera capable de fonctionner correctement dans l’environnement spatial.
La salle blanche du Centre Spatial de Liège est caractérisée par un ISO 7 et une classe 10.000. “Cela signifie qu’il y a moins de 10.000 particules dans l’air contenu dans le volume d’une grosse boîte à chaussures. A titre de comparaison, dans une maison, entre 1 million et 10 millions de particules se retrouvent dans ce même volume”, explique Christophe Grodent. Un peu plus loin, dans une pièce avec flux laminaire, la norme est encore plus stricte : ISO 5 et classe 100. Y pénétrer requiert de troquer charlotte et tablier blanc contre un costume digne de celui d’un cosmonaute.
C’est donc dans un environnement extrêmement propre qu’arrive l’instrument spatial à tester. Il est placé dans une cuve à vide, dénommée FOCAL (pour Facilité Optique de Calibration A Liège). L’acronyme est assorti d’un chiffre révélant le diamètre de la cuve. Par exemple, FOCAL 5, une imposante cuve de 5 mètres de diamètre.
Là, l’instrument spatial est stimulé par des équipements qui resteront sur Terre. On parle d’OGSE (Optical Ground Support Equipment) pour des équipements optiques, d’EGSE pour des équipements électriques, de MGSE (mécaniques) et de TGSE (thermiques). “Ces instruments n’iront donc jamais en orbite. Ils nous servent à valider et à calibrer l’instrument spatial. Et ce, le plaçant dans des conditions simulant l’environnement spatial en termes de chaleur, de vide, de stimuli optiques injectés depuis l’extérieur ou l’intérieur de la cuve.”
100 jours sous vide
3MI est resté pas moins de 100 jours sous vide en continu. “C’était la durée nécessaire pour lui injecter tous les stimuli nécessaires à sa calibration. C’est-à-dire différentes longueurs d’onde, différents angles, différents types de mesures. Le but était de vérifier que la performance optique de l’instrument était bien celle espérée et demandée par EUMETSAT”, explique Pr Habraken.
Qu’est-ce qui impose une telle durée ? “Le type de mesures demandé, mais aussi la façon dont réagissent les GSE. Ainsi, il faut un certain temps pour que l’instrument soit tourné afin de valider un autre angle de vue. S’il y a 2000 angles à mesurer, il faut faire 2000 fois la manipulation…”
“Par ailleurs, lorsque vous prenez une photo avec un appareil photographique, il faut régler l’ouverture et la vitesse afin d’acquérir un nombre suffisant de photons. Ici, c’est pareil : il y a un temps d’intégration de la lumière qui arrive et qui peut varier : soit être très court soit être très long. Cela, c’est l’instrument qui le définit. La durée du test est donc aussi liée à la nature même de l’instrument”, poursuit Christophe Grodent.
Développement de modèles
La mission du Centre Spatial de Liège avec 3MI ne s’est pas clôturée avec ces tests. Au contraire, elle n’a fait que commencer.
Lorsqu’il sera en orbite, installé sur son satellite, l’instrument observera de la lumière qui arrivera au niveau de son détecteur. Celui-ci transformera alors l’énergie reçue en un signal numérique composé de bits. Or, l’instrument étant grevé d’imperfections, il est nécessaire de retravailler ces bits, de les corriger, pour les retransformer en signaux scientifiquement interprétables. Lesquels doivent correspondre énergie par énergie, longueur d’onde par longueur d’onde, au signal reçu par l’instrument.
Pour obtenir une image la plus proche possible du signal incident, “nous avons créé un modèle de l’instrument qui inclut toutes ses imperfections, ainsi qu’un modèle de calibration. Et nous avons validé ces modèles avec des mesures spécifiques (mettant en exergue les imperfections de l’instrument, NDLR) que nous avons faites dans la cuve sous vide lors de la campagne de calibration de l’instrument.”
Correction de la lumière parasite
C’est ainsi que le CSL est parvenu à gommer des images qui seront acquises par 3MI, la lumière parasite, due à un objet ponctuel dans le champ de vue ou en dehors de celui-ci.
Un instrument regarde selon un certain angle. Si un objet ponctuel, par exemple une étoile, se trouve dans son champ de vue, il doit théoriquement éclairer un pixel. “Mais dans la réalité, la lumière incidente subit des réflexions multiples, si bien qu’en plus du pixel théorique, d’autres pixels sont éclairés. Cette lumière parasite est due à l’imperfection de l’instrument. Elle peut être simulée numériquement et caractérisée.”
“Il existe aussi de la lumière parasite hors champ de vue. En théorie, un point lumineux hors champ de vue ne doit éclairer aucun pixel. Dans la pratique, ce n’est pas le cas, car la lumière incidente est réfléchie de façon multiple avant d’arriver sur le détecteur. Nous sommes parvenus à la gommer en la soustrayant du signal”, explique, enthousiaste, Christophe Grodent.
Serge Habraken espère que cette première expérience réussie en amènera d’autres. “D’habitude, nos clients nous envoient une boîte noire en nous demandant ce qu’elle vaut. A l’avenir, notre but est, comme ce fut le cas avec 3MI, de rentrer davantage dans les instruments spatiaux via la calibration, de les comprendre, de les modéliser. Et donc de nous impliquer davantage dans la partie recherche.”