S’émerveiller, ouvrir grand les yeux sur le Vivant, l’observer à toutes les échelles, et s’en inspirer pour édifier un futur durable. C’est à cet exercice que nous incite Mathieu Surin dans son ouvrage « Matières vivantes – créer des matériaux bio-inspirés », paru aux éditions universitaires de l’UMons. Chimiste des matériaux innovants, directeur de recherches du FNRS, il se consacre à la reconnaissance et à l’assemblage des molécules. Et, avec son équipe, explore des matériaux inspirés de l’ADN et du monde vivant.
Lien intime entre structure et fonction
Au fil des pages, Mathieu Surin nous fait plonger au cœur de la matière. Et nous amène à rencontrer les multiples hélices et spirales qui composent le Vivant à toutes les échelles. Formes que Léonard de Vinci avait déjà si bien croquées au 15e siècle. « Il avait l’œil pour repérer la géométrie particulière des formes naturelles et un don exceptionnel pour les dessiner. »
« En précurseur, de Vinci a établi des liens entre les formes du Vivant et leur fonction. C’est ainsi que dans le Codex Atlanticus et le Codex Madrid, on trouve de nombreux dessins de plantes et d’animaux, et quelques pages plus loin, des croquis de machines qui s’en inspirent pour une fonction particulière», explique le professeur de chimie supramoléculaire et chimie bio-inspirée à l’UMons.
« En connaissant les liens entre la structure et la fonction à l’échelle des architectures moléculaires, les scientifiques sont désormais capables d’imaginer des structures inédites pour de nouvelles fonctions utiles pour l’Humanité et l’environnement. Cet élan participe à ces nouvelles voies que sont le biomimétisme et les approches bioinspirées », poursuit Mathieu Surin.
Son livre regorge d’exemples révélant cette relation entre architecture et fonction. Et met en exergue les recherches en cours visant à exploiter ces connaissances. Par exemple, la conception de matériaux à la fois élastiques, résistants et hydrophobes s’inspirant des toiles d’araignée. Ou d’autres matériaux, s’inspirant des podions de l’étoile de mer, capables de s’autoassembler et de s’adsorber spontanément sur toutes surfaces, même sous l’eau. Ou encore la création de nouvelles thérapies ciblées contre la dengue ou le cancer du côlon en prenant exemple sur les structures particulières des virus.
Améliorer la photosynthèse naturelle
Attardons-nous sur la photosynthèse. Celle-ci permet aux plantes, aux cyanobactéries et aux algues de convertir l’énergie solaire en énergie chimique contenue dans des molécules carbonées. Plus précisément, sous la lumière, les cellules végétales convertissent du dioxyde de carbone (CO2) et de l’eau (H20) en glucose et en dioxygène (O2).
La photosynthèse a lieu dans un organite appelé chloroplaste. « Son système complexe de récolte de la lumière est composé de protéines en spirale, au sein desquelles les molécules de chlorophylle – le pigment qui donne la couleur verte aux végétaux et qui capte la lumière, NDLR- sont également organisées en spirale. » Cette captation de lumière est sélective : seules quelques longueurs d’onde sont concernées.
Alors que la photosynthèse n’exploite donc pas tout le spectre lumineux, elle est pourtant, du point de vue des plantes, très efficace et robuste. En effet, pour se faire complètement, la réaction n’a besoin que de quelques pourcents de la lumière. Mais son rendement global – c’est-à-dire le rapport entre la puissance produite et celle du rayonnement solaire intercepté – est faible : de l’ordre d’1 %. Autrement dit, au départ d’une irradiation solaire de 1000 watt/m², un seul watt d’électricité est produit. A titre de comparaison, les cellules à homojonction actuelles des panneaux photovoltaïques ont des rendements atteignant 19 % (polycristallin) à 22 % (monocristallin). Donc avec un ensoleillement de 1000 watts, elles produisent de 190 à 220 watts d’électricité.
Face à l’explosion des besoins énergétiques causés par la démographie galopante et le tout au numérique, aux changements climatiques et à la crise des énergies fossiles et des métaux, des chercheurs tentent de s’inspirer de la photosynthèse naturelle tout en améliorant son rendement. « La plus grande source d’énergie à notre portée est sans aucun doute le Soleil. Si elle pouvait être captée intégralement, la lumière du Soleil qui frappe la Terre pendant une heure suffirait à fournir toute l’énergie dont les hommes ont besoin pour une année », explique Pr Surin.
Mi-naturel mi-synthétique
« Actuellement, une approche intéressante, menée par des chercheurs français et allemands, s’inspirant de la photosynthèse, vise à combiner des parties naturelles et synthétiques dans des dispositifs fluides. Par exemple, l’encapsulation des membranes des chloroplastes d’épinard dans un bain d’huile, et son irradiation subséquente par la lumière du Soleil. Un tel système pourrait être facilement utilisé dans des bioréacteurs. »
« Un autre domaine de recherche en pleine effervescence consiste à utiliser la propriété de la chlorophylle d’absorber l’énergie lumineuse du Soleil en l’incorporant dans des dispositifs photovoltaïques. Ainsi, des chercheurs français ont extrait la molécule de chlorophylle à partir de la spiruline, une algue verte qui se développe sur les bords de la Méditerranée. Ils l’ont ensuite modifiée pour obtenir un dérivé pouvant être introduit dans une cellule solaire à colorant et associé à l’oxyde de titane. C’est prometteur, mais le rendement est encore relativement faible à ce stade de la recherche. »
« Si nous sommes encore très loin de pouvoir mettre en œuvre toute la complexité du Vivant, l’approche bio-inspirée nous conduit à apprécier sa diversité. Mais aussi à mieux comprendre l’origine de la vie et les interconnexions entre tous les êtres », conclut Pr Mathieu Surin.