Les entrailles de Bruxelles ont de la mémoire

29 novembre 2018
par Céline Husson
Temps de lecture : 5 minutes

A quelques mètres de la Grand-Place de Bruxelles, les caves du 5 rue de la Tête d’or ont dû être débarrassées de leurs sacs et autres maroquineries. Comme beaucoup d’autres caves du centre-ville, elles sont l’objet depuis janvier 2017 d’un programme d’étude archéologique et historique.

Au cœur de ce projet, quatre chercheurs du CReA-Patrimoine (ULB) : François Blary, le directeur du programme, Paulo Charruadas, Philippe Sosnowska et Benjamin Van Nieuwenhove. Ainsi que Sylvianne Modrie de Bruxelles Urbanisme et Patrimoine qui finance et collabore au projet.

Plus rien ne reste Ou presque

En 1695, les troupes françaises bombardent le centre de Bruxelles.

« On estime que 4000 à 4500 bâtiments ont été frappés par le bombardement. Après ce désastre, on a reconstruit le centre-ville à partir des ruines et des bâtiments encore debout. Et cela se remarque sur les façades : elles datent plutôt de la fin du XVIIe et du début du XVIIIe siècle », explique Philippe Sosnowska.

Si la surface de la ville a été remodelée au fil des siècles, de nombreux trésors du passé subsistent encore sous les pavés. Moins soumises aux rénovations que le reste du bâtiment, les caves de Bruxelles constituent un conservatoire de nombreux indices matériels et historiques datant de la période s’étirant du XIIIe au XIXe siècle.

La Grand-Place passe au scanner

« Notre ambition est de comprendre la ville médiévale et son urbanisme à travers le temps, depuis le Moyen-Âge jusqu’aux environs des années 1850 ». Et leur objectif est d’envergure : étudier l’ensemble du Pentagone et certains noyaux ruraux. Dans un premier temps, cependant, l’étude se focalise sur la zone UNESCO correspondant au quartier de la Grand-Place.

« Nous avons chacun notre spécialité dans l’équipe : Paulo est archéologue mais surtout historien, tandis que Benjamin et moi sommes archéologues. Benjamin se concentre sur les relevés graphiques, topographiques et l’acquisition 3D, et moi j’étudie l’ensemble des structures archéologiques et les matériaux mis en œuvre », précise Philippe Sosnowska.

Autre style autre époque

En examinant les différents matériaux utilisés (briques, pierres, enduits, éventuellement bois) et leur mise en œuvre (la taille ou le façonnage), Philippe Sosnowska détermine les différentes périodes de transformation des caves.

« On voit la manière dont la pierre est taillée : on distingue une ciselure périmétrique entourant le cœur, qui est tailléavec une « polka ». Et l’on sait que c’est entre le XIIe et le milieu du XVe siècle que la pierre était travaillée de cette façon. Pour les briques, on va étudier les formats, qui sont différents en fonction des époques. De même pour le mortier, etc. »

« Cette cave est extrêmement intéressante, car à travers les murs et les voûtes qui sont encore en place, on traverse toutes les époques de l’histoire de Bruxelles », conclut l’archéologue. Ce patrimoine, a priori insignifiant, est donc exceptionnel du fait de son ancienneté.

Dans les méandres des archives

« Les documents écrits décrivant les habitants et leurs métiers permettent de déterminer les fonctions de ces caves », explique Paulo Charruadas, responsable du volet archivistique.

Les « actes de la pratique » (comptes, actes de vente, de location, recensements, etc.) sont d’un grand intérêt.

« Je pars toujours de l’époque contemporaine pour reculer dans le temps. En étudiant la documentation urbanistique conservée aux Archives communales, je peux identifier qui en étaient les propriétaires (ville, églises, abbayes ou couvent, propriété domaniale, particuliers). Sur cette base, je sais dans quel fonds je dois ensuite me tourner pour pouvoir éventuellement trouver des informations. En revanche, pour les particuliers, les choses sont moins faciles : ils conservent rarement méthodiquement leurs archives. »

Plus vraie que nature

Benjamin Van Nieuwenhove a mesuré chaque coin et recoin des caves visitées. Son objectif : réaliser un plan précis et détaillé.

« Mon travail fait appel à différentes techniques : la première consiste à prendre les mesures des structures rencontrées à l’aide d’un décamètre pour effectuer des relevés manuels et les reporter à échelle sur papier millimétré. Une autre est plus technologique et moderne : elle fait appel au tachéomètre. C’est un appareil qui va mesurer et situer des points dans l’espace, et qui permettra à terme de redessiner le plan complet des caves et de les géoréférencer afin de les situer sur le plan topographique de Bruxelles », explique Benjamin Van Nieuwenhove.

Mur nord de la cave, présentant des pans de murs datant d’époques différentes © urban.brussels – ULB

La troisième technique consiste à réaliser une photogrammétrie : une grande quantité de photographies permettent de réaliser une modélisation en 3D de chaque lieu.

Une fois les recherches sur le terrain terminées, chaque cave pourra alors être minutieusement étudiée sans qu’il soit nécessaire de retourner sur le terrain.

« Les archives et les agents régionaux qui gèrent les permis d’urbanisme sont une source précieuse pour découvrir ces trésors mais  la prospection reste une valeur sûre », expliquent-ils. Armés de prospectus présentant leur recherche, ils s’adonnent aux joies du porte à porte. Et il y en a, des caves à visiter et à inventorier ! Plus de 4000 pour les alentours de la Grand-Place.

 

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