Nés avec le développement d’Internet dans les années 2000, les « mèmes » sont aujourd’hui considérés comme des objets culturels à part entière. Pour les non-initiés au concept, un mème prend le plus souvent la forme d’une image (photo, scène de film, peinture…) ou d’une vidéo, accompagnée d’une ou deux phrases. Le but est de partager une expérience ou une opinion personnelle de manière parodique sur Internet, et surtout sur les médias sociaux. Une fois mis en ligne, le mème est généralement repris, décliné et détourné massivement par d’autres internautes et communautés.
Depuis quelques années, Lieven Vandelanotte, professeur au département de langues et littératures germaniques de l’UNamur et chercheur à l’unité de recherches en linguistique fonctionnelle et cognitive de la KU Leuven, étudie ce phénomène sous l’angle de la linguistique. Pour lui, les mèmes représentent tout simplement une nouvelle forme de langage.
Des constructions alliant mots et images
« Nous vivons dans un monde où nos communications sont de plus en plus visuelles : partage de vidéos sur les réseaux sociaux, utilisation de gifs et d’émojis dans nos applications de messageries… En tant que linguiste, il s’avère donc pertinent de se pencher sur les discours incluant des images », indique le Pr Vandelanotte. « Dans le cas des mèmes, il est intéressant d’étudier la manière dont l’image et le texte se combinent, et ainsi de cerner la façon dont ils se construisent d’un point de vue linguistique. »
Pour mieux comprendre, le chercheur mentionne un mème bien connu des internautes : le « distracted boyfriend» (petit-ami distrait, en français). « La photo est en elle-même une construction linguistique, elle nous dit quelque chose, à savoir que le sujet (le garçon) préfère/se laisse séduire par X (la fille qui passe) plutôt que par Y (sa copine). Pour les internautes qui maîtrisent le langage des mèmes, ils comprennent tout de suite le discours rapporté par l’image. »
« Le texte ajouté à l’image renverra à cette idée de manque de loyauté, mais en créant un lien avec un domaine qui n’a rien à voir avec celui des relations personnelles. On peut, par exemple, faire référence au monde politique, économique, ou encore musical. » En résumé, une image ne devient un mème qu’à partir du moment où il y a une réappropriation visant à produire un discours propre.
Une chaire Francqui centrée sur les mèmes
Si les mèmes font, depuis quelques années, l’objet de recherches en sociologie ou en sciences de la communication, leur étude au travers du prisme linguistique est assez récente. « Pourtant, pour ceux qui utilisent les mèmes pour communiquer, ils représentent aujourd’hui un discours à part entière et une manière « normale » de s’exprimer.»
Grâce à un mandat de « Professeur de recherche Francqui » débuté en septembre 2023, le Pr Vandelanotte aura l’occasion de consacrer davantage de temps à l’analyse de ce phénomène. « Ce mandat de trois ans me permettra, entre autres, de finaliser la rédaction d’un ouvrage que j’écris actuellement avec Barbara Dancygier, linguiste à l’Université de British Columbia (Canada). »
Décrypter le langage des mèmes
Intitulé «The Language of Memes : Meaning Emergence across Image and Text», ce livre est destiné à la communauté de chercheurs en linguistique intéressée par le concept. Il promet d’explorer divers aspects des mèmes, tels que les différents types existants, la forme spécifique que peuvent prendre les mèmes selon la plateforme sur laquelle on les partage, l’importance des pronoms (Je/Moi) – puisque la personne qui crée le mème n’est pas le personnage qui y est représenté –, ainsi que la notion de discours rapportés. « C’est très présent, à travers l’utilisation de locution comme « Et alors, il a dit… », ou bien l’utilisation de guillemets, de sous-titres, ou de bulles, comme dans une BD. »
Loin d’être un simple effet de mode, les mèmes font aujourd’hui partie intégrante de la culture du Web. Avec cet ouvrage, les deux linguistes entendent offrir une meilleure compréhension de cette forme de langage, et contribuer à l’émergence d’un nouveau champ de recherche sur le sujet.
