Que reste-t-il d’une vie à l’approche de la mort ? Sans être explicite, cette question a sous-tendu deux thèses de doctorat qui viennent d’être défendues. Deux thèses qui relativisent quelques idées reçues sur l’importance incontournable de la famille traditionnelle dans cette période de fin de vie et qui constatent surtout à quel point les parcours individuels continuent d’être marqués par des inégalités sociales et de genre.
Les deux recherches ont été menées en Suisse francophone. Leurs enseignements sont sans aucun doute transposables bien au-delà des limites de Lausanne et de Genève.
Périodes heureuses et configurations familiales
A Lausanne, précisément, Nora Dasoki s’est intéressée à la mémoire autobiographique liée au vieillissement et ses représentations des périodes heureuses et vulnérables. Elle a donc privilégié une perspective psycho-sociale. A Genève, Myriam Girardin a travaillé sur les configurations familiales aux dernières étapes de la vie. Elle s’est donc plutôt intéressée à l’approche sociologique et l’analyse de réseau pour décrire les différents types et les différents modes de relations familiales.
Les deux doctorantes ont utilisé les mêmes données issues d’une vaste enquête menée auprès de la population suisse en 2011 et 2012. Elles ont cependant suivi des approches très différentes.
Le poids des enfants dans l’équation « bonheur » est à relativiser
Le point commun de ces deux thèses réside dans le poids des normes sociales et du contexte structurel dans l’évaluation que font les personnes âgées de leur passé et de leur entourage affectif.
Nora Dasoki montre par exemple que les personnes qui n’ont pas eu d’enfant ne déclarent pas moins de périodes de bonheur sur l’ensemble de leur vie que les personnes ayant vécu la parentalité. Ces dernières indiquent en général un pic de bonheur autour de ce moment précis, mais la courbe rejoint ensuite le même niveau que celle des individus sans enfants.
Fait intéressant, les hommes signalent plus facilement le mariage et la naissance des enfants comme des périodes particulièrement heureuses. Nora Dasoki explique cette différence par le fait que la maternité implique plus de sacrifices que la paternité : les femmes auraient donc moins tendance à enjoliver le passé.
Des travaux de Myriam Girardin, il ressort que 20% des personnes âgées ayant des enfants ne les mentionnent pas parmi les personnes les plus importantes de leur entourage. Les membres significatifs du réseau familial peuvent aussi provenir de la fratrie, de la parenté élargie ou des liens électifs d’amitié.
Cette conception s’éloigne de la vision classique de la famille conjugale et nucléaire propre à la gérontologie, selon laquelle le modèle traditionnel est une ressource garante de santé psychique et physique aux 3e et 4e âges. Selon la chercheuse, la famille est plutôt le lieu de fortes ambivalences impliquant soutien et tensions à des degrés divers, dont elle dresse la cartographie.
La place de la belle-fille
La chercheuse constate aussi une forte asymétrie de genre. Les filles y tiennent une place prépondérante. Soit il s’agit de la fille de la personne âgée, soit de sa belle-fille. Les gendres, eux, n’apparaissent quasiment jamais comme personnes significatives dans la configuration basée sur la fille.
De son côté, Nora Dasoki établit une différence entre mémoire des périodes heureuses et mémoire des périodes vulnérables.
Sa thèse confirme que les souvenirs heureux subsistent davantage que le rappel des moments difficiles. Elle ajoute cependant que les souvenirs de vulnérabilité sont liés de manière très significative à des expériences collectives comme la guerre.