Homard, dinde, gibier, huître, foie gras… Noël est souvent l’occasion de manger de bons petits plats. Des mets qui sont généralement spécifiques à cette fête, et que l’on consomme rarement à d’autres occasions. D’où nous viennent ces traditions culinaires ?
Selon Pierre Leclercq, collaborateur scientifique à l’ULiège et spécialiste dans l’Histoire de l’alimentation, le repas de Noël du 21e siècle est un joyeux mélange de traditions populaires chrétiennes et païennes, ainsi que de coutumes aristocratiques datant du Moyen-âge.
Le Soleil Invaincu et Jésus partagent la même date d’anniversaire
La première mention de Noël, terme entendu comme une fête célébrant la naissance du Christ, remonte à l’an 336, à Rome. La date du 25 décembre n’est alors pas choisie au hasard. La fin du mois de décembre a, en effet, toujours été marquée dans l’hémisphère nord par des célébrations et des banquets pour fêter le solstice d’hiver. Un événement qui annonçait le retour de la lumière, et donc de la vie.
« Dans le calendrier julien, instauré par Jules César en 46 avant notre ère, le 25 décembre est alors considéré comme le jour du solstice. Plus tard, le jour de naissance du Dieu romain Sol Invinctus (le Soleil Invaincu), institutionnalisé dans les années 270, sera logiquement inscrit à cette date. C’est finalement l’Empereur Constantin qui fera au 4e siècle coïncider le jour de naissance du Christ avec celle du Sol Invinctus. Ce n’est qu’au Moyen-âge, précisément au 7e siècle, que le 25 est imposé comme une fête exclusivement chrétienne », rappelle Pierre Leclercq.
Les aristocrates mangent du foie gras toute l’année
Le 24 est alors vécu comme un jour « maigre », où l’on ne pouvait manger ni viandes, ni dérivés (œufs, lait, etc.). « Le 25 était, de son côté, un jour “gras”. Après la messe de minuit, on allait donc prendre le repas du “réveillon”, qui est, rappelons-le, la forme conjuguée du verbe “se réveiller” », indique Pierre Leclercq.
La composition du festin dépend du milieu social de la famille. Les plats à base de cochon, tels que les boudins ou les jambons, sont ainsi au cœur de la fête de Noël au sein des classes populaires. Et ce, dans toute l’Europe.
« Du côté des aristocrates, selon des documents datant de 1820, le menu de Noël se compose notamment de gibier à plume et de foie gras truffé. Mais la composition n’est pas plus particulière qu’à un autre moment de l’année, ces plats sont, au fond, communément consommés par les familles aisées. Ce sera la classe bourgeoise, en imitant les nobles, qui fera de ces mets, des plats de fête, en les servant à l’occasion de Noël dès la fin du 19e siècle ».
16e siècle, l’arrivée de la poule d’Inde
On note que la volaille a déjà une place privilégiée à table. Les animaux à plume sont de fait très valorisés dans la haute cuisine européenne. Et ce, en partie à cause de la doctrine de la « chaîne des êtres ». Apparue durant l’Antiquité et se poursuivant au Moyen-âge, cette ancienne théorie affirme que la nature s’ordonne sur une échelle de valeur. On trouve ainsi l’humanité, puis le monde animal, végétal, et enfin minéral. Des catégories elles-mêmes subdivisées :
« Dans le monde animal, on retrouve en haut de l’échelle les animaux capables de voler, tels que les faisans, les canards, les oies, etc. Les volailles qui ne volent pas arrivent juste après, comme les poules. Viennent ensuite les animaux d’eau, puis les terrestres ». Les familles optaient ainsi de préférence pour la cuisine à base d’oiseaux. Ou, à défaut, pour du poisson ou des crustacés.
La dinde, oiseau sauvage importée des Amériques, s’impose de cette manière rapidement dans les menus aristocratiques dès 1530. « On l’appelait alors la “poule d’Inde”. Elle deviendra populaire à Noël à la fin du 19e siècle ».
C’est aussi à cette période qu’apparaît la bûche chez les pâtissiers parisiens. Un dessert qui s’inspire du rite païen où l’on faisait brûler une bûche la nuit du 24 au 25 pour porter chance.
« C’est une très vieille coutume dont on ignore encore l’origine. La bûche était nettoyée de son écorce, on la peignait, et la décorait d’herbes, souvent du laurier, avant de la placer dans la cheminée. L’idée étant qu’elle brûle le plus longtemps possible. Cette tradition a été retrouvée dans tous les pays européens, des Balkans à l’Angleterre, en passant par les pays méditerranéens » conclut Pierre Leclercq.