Série (3/5) : Quand les scientifiques belges font carrière au bout du monde
Globe-trotteur dans l’âme, Eric Lambin parcourt le monde depuis trente ans pour mieux comprendre les interactions entre l’activité humaine et les écosystèmes terrestres. Ce chercheur en sciences environnementales est, entre autres, connu pour avoir développé des méthodologies innovantes, basées sur les images des satellites d’observation de la terre, croisées à des données socio-économiques des populations.
Cela fait maintenant onze ans qu’il est engagé à mi-temps à la prestigieuse Université de Stanford, tout en poursuivant ses activités à l’UCLouvain.
Du Massachusetts à la Lombardie
Éric Lambin a 29 ans quand il décroche son premier contrat outre-Atlantique. Il y occupe le poste d’ « assistant professor », à l’Université de Boston, trois ans après avoir obtenu son doctorat à l’UCLouvain.
Cette première expérience aux États-Unis est stimulante, mais difficile : « J’étais alors un jeune chercheur, et je n’étais pas spécialement préparé à cette culture académique. La première année a été intense. Je devais me débrouiller seul pour trouver des financements, construire une équipe de recherche, développer mes cours… Le processus pour obtenir un poste permanent durant plusieurs années, et l’Université garde ceux qui y survivent », sourit Eric Lambin.
Au bout de deux, le chercheur décide de revenir en Europe. « Quand le premier mot de ma fille a été remote control (télécommande, en français), mon épouse a jugé qu’il était temps de rentrer », plaisante le chercheur.
C’est dans la petite commune italienne d’Ispra qu’il s’installe avec sa famille. Il rejoint, en tant qu’expert scientifique, le Centre Commun de Recherche, une institution destinée à mener des recherches et à conseiller la Commission européenne dans l’élaboration de ses politiques. Le lieu ne lui est pas inconnu : il y avait déjà réalisé un post-doctorat de six mois après sa thèse.
Retraite intellectuelle en Californie
Éric Lambin y travaille jusqu’à son engagement à l’UCLouvain, où il enseignera à temps plein de 1995 à 2009. Il reste néanmoins très mobile, menant, durant plusieurs semaines par an, des études de terrain dans les régions tropicales d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine.
Une mobilité que le Pr Lambin juge importante dans la vie d’un scientifique : « Voyager permet non seulement de générer de nouvelles idées et de nouvelles collaborations, mais aide aussi à prendre de la distance avec la vie académique, et ainsi à se rappeler l’importance de nos missions. À savoir l’enseignement, la recherche, et le service à la société. Il est donc utile, de temps en temps, de partir découvrir de nouveaux horizons. Je pense même qu’il serait intéressant d’imposer une année sabbatique aux chercheurs ».
Une année sabbatique qu’Éric Lambin n’hésite pas à prendre de son côté, pour intégrer en 2002 le « Center for Advanced Study in the Behavioral Sciences ». Cette institution, située à proximité du campus de Stanford, fait partie des neuf autres « Institutes for Advanced Study » répartis dans le monde. Leur mission ? Inviter les scientifiques à un séjour d’une année, dans un environnement propice à la réflexion intellectuelle.
« On ne s’y rend pas pour travailler sur des projets d’analyse de données dans des laboratoires, mais plutôt pour lire, réfléchir, écrire… On y trouve d’ailleurs une bibliothèque où sont entreposés les ouvrages écrits par les scientifiques lors de leur séjour. On y fait un peu le bilan des recherches menées jusque-là, et on nous aide à trouver de nouvelles idées. Pour un académique, c’est le paradis sur Terre et l’opportunité d’une vie, car on ne peut être sélectionné qu’une seule fois ».
Une vie partagée sur deux continents
Ce passage en Californie est aussi l’occasion pour le Pr Lambin d’établir ses premiers contacts avec l’Université de Stanford, qu’il rejoindra définitivement en 2009. « Je venais alors de recevoir le Prix Francqui et je me souviens m’être dit à l’époque : “Et maintenant, qu’est-ce que je fais ?”. La proposition de Stanford est arrivée au bon moment. Changer de milieu, récréer une équipe et m’investir dans de nouveaux thèmes de recherche m’ont complètement relancé sur le plan scientifique », assure le professeur.
Il négocie un temps partiel, ne souhaitant pas déraciner sa famille de Belgique. C’est donc cinq mois par an qu’il s’envole pour Stanford, et passe le reste de l’année à l’UCLouvain. Il dirige de ce fait deux équipes, avec lesquelles il mène des projets complémentaires.
« C’est un quotidien exigeant, mais passer de l’une à l’autre est très intéressant. D’un côté, l’Université de Stanford est très internationale et mise beaucoup sur l’interdisciplinarité dans la recherche. L’autre point positif est leur « can-do attitude ». Toute idée est à creuser, on nous incite à innover, à prendre des risques, et on dispose de moyens importants pour concrétiser ces idées. D’un autre côté, je suis aussi content de pouvoir revenir au bout de cinq mois. À Stanford, on est dans une bulle, certes paradisiaque, mais une bulle quand même. À l’UCLouvain, je reviens en quelque sorte dans le monde réel. En tant que professeur, j’y ai l’occasion de former un public plus large, et non plus une petite élite, comme c’est le cas à Stanford. Or, contribuer à la formation de la jeunesse, et donc des citoyens de demain, est aussi, à mes yeux, un rôle essentiel », conclut le Pr Lambin.