Avec le boom attendu des véhicules électriques, « d’ici 10 à 20 ans, nous devrons augmenter la capacité de stockage des batteries de presque 100 fois. » Alexandru Vlad est formel. Voilà plus de 5 années que ce chimiste de l’UCLouvain travaille, avec son équipe d’une vingtaine de chercheurs, sur la batterie de demain : de grande capacité, facile à produire, composée uniquement de carbone, d’oxygène et d’azote. Donc, organique. Et, idéalement, recyclable, voire biodégradable.
Le cobalt, un minerai hautement critique
Aujourd’hui, le cobalt compte pour 50 % des métaux présents dans les batteries lithium-ion conventionnelles. Celles-là mêmes qui ont vu leurs inventeurs (John Goodenough, Stanley Whittingham et Akira Yoshino) récompensés du prix Nobel de Chimie en 2019. Celles aussi que nous retrouvons dans nos smartphones, dans nos maisons, couplées aux panneaux photovoltaïques ainsi que dans les voitures électriques.
La réserve mondiale de cobalt est estimée (à l’heure actuelle) à 7 millions de tonnes. Le précieux minerai est présent majoritairement en République Démocratique du Congo (50 %), où les techniques d’extraction, bien souvent employant des enfants, violent les droits humains fondamentaux. Le reste des gisements se répartit entre l’Australie et Cuba.
Certaines études montrent que si l’on veut électrifier 50 millions d’automobiles en Allemagne, avec une batterie d’environ 80kWh chacune (utilisant la technologie Li-ion actuelle, dénommée NMC-111), cette industrie aura besoin de 1.5 millions de tonnes de cobalt. Cela représente presque un quart de la réserve mondiale ! Or certains pays, comme la Chine, ont des ambitions au moins 5 fois supérieures à celles de l’Allemagne. Si l’on ne change rien, on va rapidement tomber à cours de cobalt », explique le Pr Alexandru Vlad, chercheur au sein de l’institut de la matière condensée et des nanosciences.
Sans batterie de nouvelle génération, la voiture électrique ne décollera pas
En 2018, on comptait dans le monde environ 4 millions de voitures électriques. Cela représentait 77 GWh de batteries lithium-ion. A l’horizon 2040, il devrait y en avoir plus de 900 millions, soit … au minimum 4000 GWh de batteries lithium-ion. Il y aura des voitures avec des batteries de différentes capacités, allant de quelques kWh à quelques dizaines de kWh.
« La transition de la voiture dotée d’un moteur thermique vers le véhicule électrique sera impossible sans batterie de nouvelle génération. Il faudra soit améliorer les batteries conventionnelles en diminuant l’usage des matières premières critiques comme le cobalt ; soit créer de nouvelles batteries », explique Pr Vlad. Au laboratoire, il développe des batteries organiques, exemptes de métaux, et donc de cobalt.
« Attention toutefois, la batterie organique, de par son volume plus important que les batteries conventionnelles, ne sera idéale ni pour les smartphones ni pour les véhicules électriques. Mais elle pourra décharger d’autres domaines qui auront, eux aussi, un besoin accru en batteries et pour qui le volume ne sera pas un facteur limitant. C’est le cas des batteries résidentielles, de 2 à 15 kW, parfois couplées avec des panneaux photovoltaïques, placées dans la cave ou le garage, pour avoir un tampon entre production d’énergie et consommation », poursuit-il.
La cathode, pierre d’achoppement de la batterie organique
Dans le cadre du projet ERC MOOiRE, il explore depuis 2018, et pour une durée de 5 ans, la possibilité de créer des batteries composées uniquement de carbone, d’oxygène et d’azote. C’est-à-dire avec de la matière organique.
C’est la conception de la cathode qui donne du fil à retordre. Il travaille à identifier des molécules organiques qui pourraient stocker de façon réversible l’énergie électrique.
« Les molécules organiques utilisées jusqu’alors n’étaient pas stables à l’air dans leur phase réduite. Très riches en électrons, elles voulaient, en quelque sorte, « s’en débarrasser ». Cela veut dire que ces molécules s’oxydaient très rapidement à l’air : dès qu’une molécule d’oxygène passait à proximité, celle-ci prenait les électrons. Ajouter, à certaines molécules organiques, des groupements fonctionnels attirant les électrons permet de stabiliser ces composants. Ainsi, lors de la rencontre avec une molécule d’oxygène, le transfert d’électron est désormais plus compliqué », explique le Pr Vlad.
« En faisant cela, on chasse deux lapins avec une seule pierre. Premièrement, on augmente la stabilité à l’air des composants Cela permet de pouvoir manipuler et assembler ces batteries organiques de la même façon que les batteries inorganiques traditionnelles. Deuxièmement, on amplifie le voltage de la batterie . Et par là, on peut augmenter l’énergie de la batterie. »
Des candidates prometteuses
Dans la salle des essais, des ordinateurs suivent les cycles de charge et de décharge de quelque 200 prototypes de batteries assemblées en format pile bouton.
« Jusqu’à maintenant, nous avons testé une dizaine de molécules organiques. Certaines sont prometteuses. D’autres sont curieuses au niveau scientifique, mais restent limitées au niveau pratique. Les meilleures ne sont pas encore publiées, ces résultats restent donc encore inconnus du monde scientifique, et pourquoi pas industriel. »
Quid de l’anode ? Par facilité, elle est composée de graphite, comme dans les batteries lithium-ion. Ce matériau est composé exclusivement de carbone. A l’état naturel, il s’agit d’une ressource limitée, tout comme le cobalt. Il est d’ailleurs défini par l’Europe comme CRM (Critical Raw Material). Mais, en électrochimie, le graphite artificiel fonctionne aussi bien que le graphite naturel. Cela n’empêche, « nous développerons peut-être une anode organique lorsque le problème de la cathode sera résolu », précise Pr Vlad.
Economie circulaire
Contrairement aux métaux (cobalt, nickel, manganèse, cuivre, fer, etc.), les matériaux organiques ne s’extraient pas de terre, il faut les synthétiser. Actuellement, c’est à base de pétrole. Mais, des chercheurs révèlent la possibilité de se servir de biomasse.
« On cherche des méthodes de synthèse très simples, composées de maximum 2 ou 3 étapes. A réaliser dans des conditions les plus respectueuses de l’environnement possible : en milieu aqueux (sans solvant), à pression et température ambiantes. »
Mais attention, organique ne veut pas dire absence de recyclage. « Si on veut être respectueux de l’environnement, il faudra recycler les batteries en fin de vie. Dans le cadre des batteries organiques, on pourrait envisager de les brûler en récupérant le CO2 émis pour le convertir en matériaux primaires pour de nouvelles batteries organiques. Elles ont un rôle à jouer dans l’économie circulaire », commente le Pr Vlad.
La recherche fondamentale pour se passer du cobalt
Mais n’allez pas croire qu’il ne s’intéresse qu’aux batteries organiques. Dans la course aux batteries dénuées de cobalt, démarre, en septembre, le projet européen HYDRA d’une durée de 4 ans et doté d’un budget de quasi 10 millions d’euros.
Le consortium européen regroupe des partenaires académiques, des instituts et des industriels fournissant les composants de la batterie.
« On va étudier tous les petits points à problèmes de batteries lithium-ion inorganiques dénuées de cobalt. En effet, aujourd’hui, ces batteries composées de manganèse et de nickel couplé au graphite ne sont pas stables : elles peuvent à peine tenir 200 cycles de charge et décharge. » Cette recherche fondamentale vise, à terme, à parvenir à améliorer la performance de ces batteries, et à atteindre au moins 2000 cycles, voire même davantage. Tout en leur conférant un petit volume.
Le consortium européen regroupe des partenaires académiques, des instituts et des industriels fournissant les composants de la batterie.