Série (2/3) : « Devoirs de vacances » (partie 2)
Les pollutions des eaux douces sont multiples. Industrielles, agricoles, mais aussi médicamenteuses. En effet, nombreux sont les médicaments qui, une fois administrés, ne sont pas complètement métabolisés par le corps. Une partie non négligeable de ces molécules est excrétée indemne dans les urines et les fèces, et passe au travers des techniques d’assainissement des eaux des stations d’épuration. Les rivières se muent ainsi en un bouillon médicamenteux. Quel en est l’impact sur la faune et la flore ? DIADeM, projet de recherche franco-belge, financé notamment par Interreg, a tenté de répondre à cette question. Ses résultats font l’objet d’une exposition intitulée « Santé de nos rivières: en péril? », scindée en deux parties : l’une pour les adultes, l’autre adaptée aux enfants dès 8 ans. Présente à l’Université de Namur jusque fin d’année, elle sera ensuite itinérante chez les 17 partenaires du projet.
L’effet cocktail
Le cas des œstrogènes, liés à la prise de pilules contraceptives, est bien connu pour jouer un rôle dans la féminisation de certains poissons (des individus mâles deviennent des femelles). Mais qu’en est-il du diclofénac (anti-inflammatoire), de l’irbésartan (anti-hypertenseur), du paracétamol (analgésique), de la carbamazépine (neuroleptique), du naproxène (anti-inflammatoire) ?
La concentration de ces molécules, couramment utilisées par la population générale, a été mesurée en 24 points de prélèvement réparti sur la Sambre, la Meuse et la Semois. Chacun des 5 médicaments engendre une pollution fluviale allant, en moyenne, de 25 à 100 ng/L d’eau de rivière. A titre de comparaison, cela équivaut à un cachet de paracétamol de 250 mg dissous dans une piscine olympique. Cela peut sembler peu. Mais n’oublions pas qu’il s’agit, dans le chef des animaux et végétaux habitant les cours d’eau, d’une exposition chronique, laquelle peut se révéler toxique, même à très faible dose.
Jusqu’ici, il était d’usage d’étudier, au laboratoire, les effets écotoxicologiques molécule par molécule. Mais dans la nature, animaux et végétaux sont soumis non pas à un type unique de molécules, mais à pléthore de polluants. C’est ce qu’on appelle l’effet cocktail. Et c’est ce que le projet DiADEM a étudié. Pour ce faire, les concentrations en chacun des 5 médicaments ont été additionnées.
« La Sambre est la plus touchée par cette pollution. Le maximum (de 1000 à 1750 ng/L) est atteint à Maubeuge, une grosse ville française située en amont de Charleroi (de 100 à 500 ng/L) et de Namur (500 à 1000 ng/L) », explique Dre Aline Wilmet, l’une des deux commissaires de l’exposition.
Focus sur les truites
Afin d’évaluer la toxicité de ce cocktail médicamenteux sur les formes de vie fluviales, les chercheurs ont travaillé avec 5 espèces représentatives de nos cours d’eau : un végétal (mousse fontinale), deux invertébrés (moule zébrée et gammare – qui est une crevette d’eau douce -) et deux vertébrés (épinoche à 3 épines et truite arc-en-ciel). Ils les ont élevées dans deux conditions expérimentales différentes : en aquarium (truite) et en rivière artificielle (épinoche, mousse, moule, gammare).
C’est à l’Université de Namur, dans le laboratoire de physiologie et toxicologie environnementales dirigé par le Pr Patrick Kestemont, que les impacts du cocktail sur la truite ont été étudiés.
« L’aquarium offre un environnement contrôlé qui évite toute perturbation due à d’autres facteurs environnementaux (autres polluants, variation de température ou d’oxygène). C’est idéal pour mesurer l’impact de l’effet cocktail. Les truites ont été réparties dans 16 aquariums où elles ont été soumises à une pollution continue pendant 6 semaines », explique Dre Justine Fromentin, commissaire de l’exposition.
Parmi ces 16 aquariums, 4 étaient des bassins témoins, non pollués par les médicaments, tandis que les 12 autres contenaient le mélange des 5 médicaments : 4 bassins ont été soumis à une concentration environnementale (C1) ; 4 à une concentration 10 fois supérieure (C10) et enfin, 4 à une concentration 100 fois supérieure (C100). En effet, les chercheurs s’étaient préalablement rendu compte que la pollution médicamenteuse variait dans cet ordre de grandeur entre les différents sites de prélèvements sur la Meuse, la Sambre et la Semois.
Des effets délétères même à faibles doses
« Chaque semaine, la concentration en médicaments était contrôlée afin de s’assurer que celle-ci restait bien identique tout au long de l’expérience. En parallèle, la bioaccumulation, soit la concentration en médicaments dans les tissus des truites a été mesurée après 1, 7, 21 et 42 jours », poursuit-elle.
L’analyse du sang et des organes a permis de mettre en évidence la présence ou non d’effets sur le système immunitaire, le système nerveux, le système reproducteur.
Résultats ? Le cocktail de 5 médicaments paraît agir comme un perturbateur endocrinien. « La production d’hormones sexuelles était déclenchée dès le stade juvénile, donc avant qu’ils soient adultes. Cela pourrait avoir comme conséquence le développement précoce des organes sexuels », explique Dre Fromentin.
« Malgré une courte exposition (42 jours) à faible dose, en plus d’un effet sur le système reproducteur, les truites développent une réaction inflammatoire aux médicaments. A long terme, cela pourrait endommager les tissus et entraîner une dégradation de l’état de santé général de l’organisme », ajoute Dre Aline Wilmet.
Des rivières artificielles pour l’étude des mollusques
A Lyon, les laboratoires de l’INERIS, partenaire au projet, disposent de mésocosmes. C’est-à-dire de rivières artificielles semi-contrôlées qui reproduisent le fonctionnement d’un cours d’eau. Cette infrastructure permet d’ étudier le potentiel impact de produits toxiques sur le développement des espèces qui y vivent en prenant en compte la complexité d’un écosystème aquatique.
La mousse, la moule, l’épinoche et le gammare y ont été introduits dans des canaux témoins, exempts de pollution, et dans des canaux pollués par le cocktail de 5 médicaments de manière continue. « A noter que la truite n’a pas été introduite dans les mésocosmes en raison de son cycle de reproduction supérieur à la durée de l’expérience. Mais aussi en raison de l’espace insuffisant pour son développement et de la difficulté e reconstituer son habitat naturel (eau froide très oxygénée et courant important) », précise Dre Aline Wilmet.
Au bout de 6 mois d’exposition aux contaminants, les animaux ont été sacrifiés et leurs tissus analysés. Si épinoches et gammares ne présentent aucun signe de toxicité, il en est tout autre pour la moule zébrée et la mousse fontinale.
En effet, chez la moule, les voyants toxiques sont au rouge pour tous les biomarqueurs étudiés : intégrité de l’ADN, mesure de l’activité des neurotransmetteurs, production de globules blancs, production d’hormones, élimination des toxines, concentration des médicaments au sein de l’organisme, stockage du glucose, taille et poids de l’organisme. Il en est de même pour la mousse fontinale, excepté en termes de biométrie : sa croissance n’est pas affectée par le cocktail médicamenteux.