Série : Arts et Sciences (3/3)
L’espace, n’est-il qu’un terrain à conquérir ? Louise Charlier, artiste plasticienne, interroge notre rapport à l’espace par son travail artistique, mais également par sa recherche scientifique qui l’amène à explorer les imaginaires spatiaux alternatifs.
Une artiste thésarde
Après avoir suivi un parcours assez classique à La Cambre en dessin et arts visuels, elle a débuté une thèse à l’ULB en février. « Mon envie profonde de faire de la recherche a coïncidé avec le lancement des premiers doctorats en arts et sciences de l’art. Pour y participer, j’ai fait une année supplémentaire à l’ULB. Dans le cadre de mon mémoire de ce master en arts visuels à finalité approfondie, j’ai travaillé avec Sabrina Parent, enseignante-chercheuse, qui est devenue ensuite ma directrice de thèse. »
« Toute l’année dernière, j’ai écrit mon projet de thèse pour soumettre un dossier au FNRS. J’ai eu la chance d’obtenir une bourse FRESH, dédiée aux sciences humaines et sociales, dans lesquelles sont reprises les pratiques artistiques. L’idée est d’avoir un projet de thèse avec un impact sociétal. »
Analyse des récits
Au sein du Centre de recherche Philixte (études philologiques, littéraires et textuelles), elle explore les imaginaires spatiaux. Sa thèse, intitulée « Constellation d’imaginaires spatiaux – repenser nos liens à l’espace et à la Terre par l’étude des récits alternatifs du cosmos », comprend une partie théorique et une partie artistique.
La partie théorique est particulièrement liée à la narratologie. « Je travaille notamment sur les théories des mondes possibles (élaborant la possibilité qu’existent d’autres mondes que le nôtre) que j’essaie d’adapter à l’imaginaire. Je m’intéresse particulièrement à 3 types de récits alternatifs de l’espace : l’exploration spatiale, le non-humain spatial (comme la chienne Laïka et les extra-terrestres) et l’alter spatial, une notion liée à l’écologie qui interroge sur comment repenser la Terre comme étant déjà dans l’espace. Globalement, je souhaite comprendre comment des pièces plastiques peuvent aussi faire récit et comment tout cela se combine ensemble. »
Explorer les récits alternatifs
Il s’agit d’un travail essentiellement contemporain. « Mon regard débute au début des années 2000, car c’est à ce moment-là que les agences spatiales privées, comme Space X et Blue Origin, ont émergé. Selon moi, cela a provoqué un changement dans la manière de penser l’espace. »
Depuis le lancement en 1957 de Spoutnik, le premier engin placé en orbite autour de la Terre, le récit dominant de l’espace est celui de la conquête spatiale. « La plupart des gens ont une vision stéréotypée de l’espace et une narration classique de ce que les médias mettent en avant. Mais il y a d’autres choses qui existent, d’autres récits, d’autres façons de penser et de voir l’espace. C’est cela que je veux mettre en avant », explique Louise Charlier.
En parallèle de la partie théorique de sa recherche doctorale, elle va s’exprimer dans une partie artistique. Pour ce faire, elle construit une « Bibliothèque des imaginaires spatiaux ». Il s’agit d’un grand meuble de récupération, en métal, constellé de tiroirs de 10 cm de côté et profond d’une trentaine de centimètres. Chacun d’eux sera le réceptacle de l’imaginaire spatial d’un artiste, d’un scientifique, d’un philosophe. « On y trouvera notamment une clé USB contenant ses références artistiques et philosophiques, les films et les livres qui ont forgé son imaginaire spatial. Les spectateurs pourront l’emprunter et découvrir ces différents documents fondateurs. »
Résidence artistique à l’Observatoire
Les deux premiers tiroirs de cette œuvre ont été conçus en mai et juin 2023 lors d’une résidence artistique à l’Observatoire astronomique de l’UNamur, lancée par le KIKK, association promouvant les cultures numériques et créatives aux croisements entre art, science, technologie, et société.
L’un est consacré à André Füzfa, physicien de l’UNamur, auteur de science-fiction, pilote de l’Observatoire et gestionnaire de cette résidence artistique. Le second tiroir est consacré à l’imaginaire spatial de Thomas Cordy, artiste bruxellois qui s’intéresse sur la manière dont la vie peut s’exprimer dans l’espace.
En parallèle, Louise Charlier conçoit une pièce complémentaire à chaque tiroir. Pour Thomas Cordy, il s’agit d’un « blobarium », soit un terrarium contenant de l’agar-agar pour nourrir le blob, cet étrange être unicellulaire dont le monde scientifique a longtemps pensé qu’il aurait pu être d’origine extraterrestre. Pour André Füzfa, il s’agira d’une performance artistique qui aura les atours d’un voyage spatial dans l’Observatoire, lequel sera transformé en vaisseau.
Le blobarium, cette performance ainsi que la Bibliothèque des imaginaires spatiaux et ses différents tiroirs seront visibles lors de l’Exposition astronomique organisée par le KIKK qui se tiendra début mai 2024 au Pavillon à Namur.