Laetitia Theunis

Les lichens, agents de biosurveillance de la qualité de l’air

Durée de lecture : 6 min

Savantes symbioses entre un champignon et une algue, les lichens parsèment les troncs de taches colorées. Les espèces présentes et leur abondance donnent des indications sur la qualité de l’air. Deux chercheurs de l’UCLouvain font appel aux citoyens de toute la Wallonie pour recenser les lichens dans leur environnement. Et ainsi enrichir la base de données du projet Lichens GO!, un programme de sciences participatives visant à cartographier la qualité de l’air avec une bonne résolution spatiale.

L’un nécessaire à l’autre

Contrairement à une idée reçue, les lichens ne sont pas des végétaux. Mais résultent de la symbiose, soit une association à bénéfice réciproque, entre un champignon ascomycète (lequel donne son nom à l’espèce de lichen) et une algue unicellulaire ou une cyanobactérie.

« Dans cette association, le champignon constitue la majeure partie du corps du lichen, aussi appelé le thalle. Il assure la nutrition en eau et en sels minéraux captés depuis l’atmosphère. Il fournit également des éléments qu’il va fabriquer par lui-même comme des vitamines et des antibiotiques. Par ailleurs, étant donné qu’il héberge l’algue dans ses tissus, il la protège de divers stress, comme la prédation, les rayons du soleil. En contrepartie, grâce à la photosynthèse, l’algue ou la cyanobactérie produit des sucres fournissant ainsi l’énergie nécessaire pour la croissance du lichen », explique Hugo Counoy, bioingénieur réalisant un doctorant sous la houlette de Yannick Agnan, professeur en sciences du sol à l’UCLouvain. Sa thèse vise à développer des indicateurs qui aideront à améliorer l’interprétation des données de présence et d’abondance des lichens.

Bioindicateurs de la qualité de l’air

A la différence des plantes, les lichens ne possèdent pas de racine. Ils prélèvent dès lors la totalité des nutriments nécessaires à leur survie dans l’air ambiant. Cette particularité les rend très sensibles à la pollution atmosphérique. Les scientifiques les considèrent donc comme des bioindicateurs de choix de la pollution atmosphérique.

« Tous les lichens ne sont pas affectés de la même manière par la pollution : un même polluant peut être néfaste pour une espèce et bénéfique pour une autre. En étudiant la diversité et l’abondance des lichens qui se développent sur les arbres, il est possible d’évaluer la qualité de l’air sans recourir à des capteurs chimiques ou physiques », poursuit Hugo Counoy. « Du fait de leur croissance lente, les lichens intègrent la pollution sur plusieurs années, faisant d’eux de bons témoins de la qualité de l’air. »

Les effets de la pollution au dioxyde de souffre (SO2) sur la distribution des lichens sont bien documentés suite à l’épisode des pluies acides des années 1970. La pollution contemporaine est davantage dominée par des composés eutrophisants : particules fines (PM), ammoniac (NH3), dioxyde d’azote (NO2) et ozone troposphérique (O3). Ces polluants ont été moins étudiés que le SO2. « Le but de ma thèse est de développer de nouveaux indicateurs et de réévaluer la sensibilité des espèces de lichens à ces polluants particuliers. »

Dispositif citoyen pour évaluer la richesse en espèces de lichen © présentation de Hugo Counoy et Yannick Agnan / Lichens Go!/ UCLouvain

Un protocole à réaliser chez soi ou à l’école

Pour apporter leur pierre à l’édifice de la connaissance, les citoyens sont invités à identifier, dans leur entourage, 3 arbres distants de maximum 50 m, et de minimum 50 cm de circonférence de tronc à 1 m de haut. Attention, mieux vaut exclure les résineux, les bouleaux et les platanes, car trop acides ou dotés d’un renouvellement d’écorce trop rapide, ils sont défavorables à l’implantation des lichens.

Sur chaque arbre du trio, à un mètre du sol, à chacun des 4 points cardinaux, est maintenue à l’aide d’une cordelette, une grille bricolée de 10 cm sur 50 cm, contenant 5 carrés de 10 cm de côté. Dans chacun d’entre eux, il s’agit d’identifier les espèces de lichens présentes.

Vous n’êtes pas un crac en la matière ? Cela tombe bien, une clé de détermination simplifiée (en versions papier et numérique), concernant les espèces les plus couramment rencontrées dans notre contrée, a été conçue par les scientifiques.

Selon sa morphologie, le lichen peut-être crustacé, foliacé ou fruticuleux. Dotés d’une plus grande surface de contact avec l’air, les lichens fruticuleux sont généralement les plus sensibles à la pollution de l’air © présentation de Hugo Counoy et Yannick Agnan / Lichens Go!/ UCLouvain

Il s’agit tout d’abord d’observer la morphologie du lichen : est-il crustacé (croûte indétachable du support), foliacé (doté de petits lobes détachés du substrat) ou fruticuleux (attaché au substrat en un seul point) ? Cette étape relativement facile passée, il faut identifier la couleur du lichen, puis la présence ou l’absence d’apothécies (des coupelles dressées à vocation de reproduction sexuée).

Chez l’individu mâture, les apothécies (organes de reproduction sexuée) prennent la forme de coupelles ou de verrues. Elles produisent des spores et sont dénuées d’algues © présentation de Hugo Counoy et Yannick Agnan / Lichens Go!/ UCLouvain

Pour la dernière étape, mieux vaut se munir d’une loupe. En grossissant le lichen, il s’agit d’observer la présence ou l’absence de soralies (organes de reproduction asexuée prenant un aspect granuleux (amas de poudre)) ou d’isidies (organes de reproduction asexuée prenant la forme de petits boutons ou de cylindres).

Les soralies, organes de reproduction asexuée via bouturage, prennent le forme d’un amas de poudre de champignon mêlé d’algues © présentation de Hugo Counoy et Yannick Agnan / Lichens Go!/ UCLouvain
Les isidies, organes de reproduction asexuée via bouturage, prennent le forme de fragments de champignon mêlé d’algues © présentation de Hugo Counoy et Yannick Agnan / Lichens Go!/ UCLouvain

Relevés et cartographie

Ensuite, il conviendra d’encoder ses données sur la plateforme Lichens Go!. Grâce à elles, les chercheurs pourront calculer des indices de la qualité de l’air pour chaque site échantillonné. Ces différents indices permettront la réalisation d’une carte de la qualité de l’air de votre environnement proche. Plus il y aura de données à disposition des chercheurs, plus cette carte sera précise. L’analyse et la publication publique des résultats se feront au fur et à mesure.

Sur un site donné, faut-il faire le relevé tous les mois ? Toutes les années ? Une seule fois suffit. En effet, la plupart des espèces de lichens vivent plusieurs centaines d’années, et croissent très lentement, à raison de 0,01 à 30 mm par an. Tout changement dans leur morphologie n’est détectable que sur une échelle de temps longue, voire très longue. Comme c’est le cas pour Rhizocarpon geographicum, un lichen d’altitude, dont on a découvert des individus âgés de 8000 ans !

Rencontre du troisième type au Festival du film scientifique de Bruxelles

Durée de lecture : 4 min

Dès lundi 20 mars 2023, rendez-vous à l’ULB pour le Festival du film scientifique de Bruxelles (FFSB). Les films et les documentaires à l’affiche raviront les curieux et les amateurs de sciences. « À travers cet événement, nous cherchons à sensibiliser le public à de nombreuses thématiques, depuis la physique à la géographie, en passant par la psychologie et la technologie », indique Sam Rush, une des organisatrices du festival, proposé depuis 2011 par le Cercle des Sciences de l’Université Libre de Bruxelles.

Le film d’ouverture fera la part belle à « Notre Nature », une ode aux beautés naturelles de la Belgique. Mardi, avec « L’homme qui connaissait l’infini », ce sera l’histoire d’un mathématicien génial autant qu’incompris du siècle dernier qui sera à l’écran. Mais assurément, le coup de cœur de Daily Science, partenaire du Festival, va au documentaire français qui sera présenté mercredi: « Le Mystère de l’Homme de Denisova ».

Une nouvelle branche de la famille humaine

L’Homme de Denisova? « Cela commence avec la découverte d’une phalange dans la grotte de Denisova, dans l’Altaï, en Sibérie, il y a une dizaine d’années », explique Patrick Semal, paléoanthroplogue à l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique. « L’analyse de son ADN a montré qu’il n’appartenait ni à la lignée des Hommes modernes, ni à celle des Néandertaliens. Il s’agissait d’une nouvelle branche, jusqu’alors inconnue, de la famille humaine.»

Le documentaire de Guy Beauché retrace cette découverte extraordinaire. Il met aussi en avant les progrès de la recherche en paléogénétique, engrangés par le biologiste suédois Svante Pääbo à l’Institut Max Planck, à Leipzig (Allemagne), Prix Nobel de médecine ou de physiologie en 2022.

Une découverte sensationnelle

En 2008, un fragment de phalange âgé de 40.000 ans a donc été découvert dans la grotte de Denisova, dans le sud de la Sibérie. L’os contenait de l’ADN exceptionnellement bien conservé, que l’équipe de Svante Pääbo a séquencé.

Les résultats ont fait sensation : la séquence d’ADN était unique par rapport à toutes les séquences connues de l’homme de Néandertal et de l’Homme actuel. Un homininé inconnu jusqu’alors venait d’être découvert. Les scientifiques lui ont donné le nom de Denisova.

« Des comparaisons avec des séquences d’humains contemporains provenant de différentes régions du monde ont montré qu’un flux génétique s’était également produit entre Denisova et Homo sapiens. Cette relation a été observée pour la première fois dans les populations de Mélanésie et d’autres régions d’Asie du Sud-Est, où les individus portent jusqu’à 6 % d’ADN de Denisova », rappelait le comité Nobel.

Les découvertes de Pääbo ont permis de mieux comprendre l’histoire de notre évolution. À l’époque où Homo sapiens a migré hors d’Afrique, au moins deux populations d’homininés éteintes habitaient l’Eurasie. Les Néandertaliens vivaient dans l’ouest de ce continent, tandis que les Dénisoviens en peuplaient les parties orientales. Au cours de leur expansion hors d’Afrique et de leur migration vers l’est, les Homo sapiens ont rencontré et se sont croisés non seulement avec les Néandertaliens, mais aussi avec les Dénisoviens.

Paléogénomique et survie en haute altitude

Grâce à ses recherches révolutionnaires, Svante Pääbo a créé une discipline scientifique entièrement nouvelle, la paléogénomique. Après les découvertes initiales, son groupe a terminé l’analyse de plusieurs autres séquences génomiques d’hominidés éteints. Leurs découvertes ont permis d’établir une ressource unique, largement utilisée par la communauté scientifique pour mieux comprendre l’évolution et les migrations humaines.

De nouvelles méthodes puissantes d’analyse des séquences indiquent que des hominidés archaïques ont pu se mélanger à l’Homo sapiens en Afrique. Cependant, aucun génome d’hominidés éteints en Afrique n’a encore été séquencé en raison de la dégradation accélérée de l’ADN archaïque dans les climats tropicaux.

Grâce aux découvertes de Svante Pääbo, nous comprenons maintenant que les séquences génétiques archaïques de nos parents éteints influencent la physiologie des humains actuels. C’est le cas de la version dénisovienne du gène EPAS1, qui confère un avantage pour la survie en haute altitude et qui est commun chez les Tibétains actuels.

La détresse de l’enfant harcelé

Durée de lecture : 4 min
"Le harcèlement scolaire", par Bruno Humbeeck. Editions Odile Jacob. VP 14,90 euros, VN 11,99 euros
“Le harcèlement scolaire”, par Bruno Humbeeck. Editions Odile Jacob. VP 14,90 euros, VN 11,99 euros

Aux éditions Odile Jacob, le guide «Le harcèlement scolaire» du psychopédagogue Bruno Humbeeck propose aux parents une boîte à outils. Avec des questionnaires qui cernent le problème. Des solutions pour arrêter la spirale de violence.

Les parents ne sont pas les confidents favoris

Seulement 6,9 % des enfants harcelés à l’école primaire en parlent à leurs parents. Les victimes se confient d’abord à leur animal de compagnie, à leur ours en peluche. Puis à un élève malmené comme eux. Ensuite, dans une proportion moindre, à un membre de l’équipe éducative.

«Non pas parce que l’enfant n’a pas confiance en lui», explique le directeur de recherche au Service des sciences de la famille de l’UMons. «Mais parce qu’il a l’impression que celui-ci ne sait pas très bien comment agir pour l’aider. Et qu’il risque, par son intervention bienveillante mais maladroite, d’aggraver la situation en envenimant les choses.»

«Quand les parents apprennent l’intensité des souffrances auxquelles a été confronté leur enfant, la secousse émotionnelle est souvent pour eux totalement insupportable. Le sentiment de culpabilité se teinte dans ce cas d’une incompréhension absolue qui ajoute à l’angoisse de n’avoir pas été suffisamment présents pour soutenir leur enfant face à une épreuve de cette dimension.»

Que devrait faire le parent pour que l’enfant se confie? «Toujours veiller à se poser comme un confident disponible pour son enfant», conseille le chercheur. «Il doit également se mettre sans retenue en position de faire écho aux difficultés de l’enfant pour stimuler de la part de l’école des réponses institutionnelles adaptées. Afin de contrôler ce qui se produit dans les cours de récréation, comme partout ailleurs sur son territoire. Évidemment, aucun parent ne doit, ne peut se résoudre à se renfermer dans le silence complice de la honte avec son enfant.»

Un modèle de prévention

Pour Bruno Humbeeck, il ne faudrait pas perdre de vue que cette persécution est une violence invisible et subjective. «Il faut donc renoncer à chercher à exhiber des preuves, en argumentant à partir de faits objectifs qui, pris séparément, peuvent paraître insignifiants. Mais dont l’accumulation et l’aspect répétitif créent chez l’enfant une situation réellement insupportable.»

Les travaux du psychopédagogue l’ont conduit à concevoir un modèle de prévention des situations de harcèlement articulé autour d’une «cour de récréation régulée», d’«espaces de paroles régulés». Afin de maîtriser ce que vivent les élèves.

«Les dispositifs de prévention du harcèlement tels que nous les mettons en place actuellement en Fédération Wallonie-Bruxelles, dans plus de 600 écoles en Belgique, prévoient de les associer à des conseils d’éducation qui, en cas d’infraction légale, permettent de poser des sanctions qui protègent la victime», explique le spécialiste de la gestion du harcèlement scolaire et professionnel.

«Une fois que le harcèlement est contrôlé, il est parfois nécessaire que les parents et les enseignants conjuguent leurs efforts pour éviter les séquelles qu’une exposition prolongée ou virulente à cette forme d’agressivité violente peut provoquer.»

Les effets négatifs sur la perte d’estime de soi, les relations sociales, les résultats scolaires disparaissent généralement quand la situation de harcèlement est dépassée.

C’est l’affaire des parents et de l’école

En cas de cyberharcèlement, parents et école se renvoient souvent la balle. «Ce match inutile qui, lorsque le conflit perdure, ne fait jamais qu’un perdant, l’enfant ou l’adolescent, n’a pas lieu d’être», souligne le chercheur. «Il est fondamental que le parent qui entend le message désespéré de son enfant ou de son adolescent victime d’une agression numérique, lui fasse savoir que les adultes disposent des moyens d’intervenir. Et qu’ensemble – parents, enseignants et éducateurs – ne sont pas démunis pour y faire face.»

«Suggérer aux parents de ne pas diaboliser les réseaux sociaux apparaît comme la clé de voûte de toutes les démarches préventives dans le domaine du cyberharcèlement», juge Bruno Humbeeck. «En abordant les lieux de sociabilité numérique par leur face sombre, les parents mettent en place les conditions idéales pour que leur enfant n’aborde pas avec eux les éventuelles difficultés qu’il y rencontrera.»

Les «espaces de parole régulés», les conseils d’éducation, le système de cybercitoyens permettent aux écoles de restituer dans le réel ce qui se produit dans le virtuel. Pour la Fédération Wallonie-Bruxelles, il semble important que les écoles adoptent une position claire en communiquant, de manière transparente, sur les sanctions prises en cas de cyberharcèlement.

Un revêtement innovant et multifonctionnel développé à l’UNamur

Durée de lecture : 3 min

Un revêtement novateur à base de carbone, doté de propriétés innovantes, et applicable dans une large gamme de domaines (piles à combustible, décoration, pièces mécaniques pour automobile) vient d’être breveté à l’UNamur. Son développement est le fruit de travaux menés par des chercheurs du laboratoire d’Analyses par Réactions Nucléaires (LARN), du Département de physique de l’UNamur (Institut NISM) et de la spin-off Innovative Coating Solutions (ICS).

Ultrafin et multifonctionnel

Avec une épaisseur maximale de 10 µm, ce nouveau revêtement s’avère novateur et particulièrement performant pour améliorer la fonctionnalité et la durabilité de certains matériaux industriels.

« Il s’agit d’un revêtement multifonctionnel à base de carbone à déposer sur divers types de substrats : plat, filaire, 3D, lisse, rugueux » expliquent le Professeur Stéphane Lucas (LARN – ICS) et  Emile Haye chercheur post-doctoral au sein de l’institut NISM.

« Sa particularité est qu’il présente de multiples propriétés qui sont pourtant généralement antagonistes : anticorrosif, faible rugosité intrinsèque, dureté élevée, flexible, noir, disposant d’une forte conductivité électrique, ou encore antimicrobien. Et ce revêtement est capable de garder toutes ces propriétés même après déformation mécanique. »

Des usages multiples

Ce revêtement est applicable dans une large gamme de domaines. Il peut être utilisé dans la conception des plaques bipolaires de piles à combustible. Grâce notamment à ses qualités esthétiques, il est aussi utilisé dans l’horlogerie de luxe, ou pour les accessoires de décoration, telles que les clinches de portes ou les surfaces de robinetterie.

« La couleur noire dans les revêtements décoratifs reste un défi majeur, notamment en termes de profondeur de noir et de durabilité » rappelle Emile Haye.
Enfin, le produit peut aussi être utilisé dans la fabrication des pièces métalliques pour automobile requérant une faible friction et des propriétés de résistance à la corrosion.

Ces applications ont déjà été appliquées avec succès à l’échelle industrielle, auprès de différents fabricants en Wallonie, en Flandre ou encore Allemagne.

Un procédé de fabrication durable

La production de ce revêtement relève d’un procédé assez complexe développé grâce à l’expertise du LARN et de la spin-off ICS.

« Le revêtement est produit à l’aide d’une source solide métallique et d’une source de carbone gazeux, par dépôt physique en phase vapeur ou dépôt chimique en phase vapeur assisté par plasma dans un mélange de gaz carboné et l’argon », détaille Emile Haye.

Les avantages de ce procédé sont multiples : facilement implémentable à des machines existantes, des impacts énergétiques limités et des coûts de production limités

De larges perspectives de développement

Si les applications de ce nouveau revêtement récemment breveté sont déjà nombreuses, d’autres pistes sont à l’étude.

« Le produit pourrait ainsi être utilisé, par exemple, dans la conception d’absorbeurs solaires (en raison de la couleur noire et de la durabilité du revêtement), ou de pièces à contact glissant, ou comme couche germe pour la synthèse de diamant, voire dans la conception de prothèse. » Autant de pistes que les chercheurs namurois explorent activement.

Quand les sociétés du passé sauvaient les vestiges de l’Antiquité

Durée de lecture : 4 min

Dès qu’on parle du Colisée ou du Panthéon, deux monuments emblématiques de l’Antiquité, on revient presque toujours sur les recherches scientifiques menées au cours des dernières décennies. Sous-entendant que l’intérêt pour l’Histoire serait une démarche contemporaine. Ce serait oublier que, si ces reliques ont survécu jusqu’à nos jours, c’est parce que nos ancêtres ont participé à leur préservation.

Qu’en était-il dans nos régions ? Déterminer comment les ruines antiques étaient considérées, voire étudiées, entre le 15e et le 18e siècle était l’objectif de la thèse d’Olivier Latteur, aujourd’hui postdoctorant à l’UNamur au département d’Histoire et chargé de cours à l’UCLouvain.

L’Itinerarium d’Ortelius et de Vivianus (1584) © BUMP UNamur

La fascination pour l’Antiquité

Déjà au Moyen-âge, la période de l’Antiquité fascine. Certains savants et érudits s’attellent à collectionner et à conserver dans les bibliothèques des monastères et des cathédrales des manuscrits de cette époque. L’attention pour les vestiges matériels n’émerge toutefois qu’à la Renaissance.

Cette thèse part du constat que, si les ruines antiques italiennes ont alors suscité un grand intérêt, on ignore comment ont été reçus les vestiges retrouvés dans nos contrées. Pour le découvrir, Olivier Latteur s’est basé sur les sources écrites et iconographique (cartes, plans et gravures) mentionnant ces traces antiques dans les Pays-Bas méridionaux et dans la principauté de Liège.

« C’étaient essentiellement des voies romaines, des tumuli – des tertres artificiels au-dessous des tombes – très présents en Hesbaye, ou encore des murailles antiques que l’on retrouve encore aujourd’hui à Arlon et à Tongres », énumère le chercheur. « J’ai aussi étudié d’autres vestiges remarquables, comme le mausolée d’Igel (un village aujourd’hui situé en Allemagne), inscrit depuis 1986 au patrimoine mondial de l’UNESCO ».

Gravure du mausolée d’Igel par le Kilian, dans l’Histoire ecclésiastique et civile du Duché de Luxembourg de Jean Bertholet (1741) © UNamur

Une préservation du patrimoine avant l’heure

Ses recherches révèlent que certains vestiges ont volontairement été préservés par les sociétés de l’époque. « A cette période, l’ancienneté est synonyme de légitimité. Aussi, ces ruines étaient sauvegardées en tant que témoins du passé ancien de la communauté, ce qui contribuait à son prestige par rapport aux communautés voisine. »

« Leur conservation pouvait aussi être purement utilitaire. L’idée étant de continuer à emprunter les voies romaines, ou de garder les tumuli comme points de repère pour les voyageurs et les armées en campagne », ajoute l’historien.

Il arrive toutefois que certains monuments soient préservés pour des raisons historiques. « Le mausolée d’Igel, qui était visité par quantité de curieux à cette période, a fait l’objet d’une restauration dès le 18 siècle. Les pouvoirs publics de l’époque estimant qu’il devait être conservé pour les générations futures. C’est assez surprenant, quand on sait que les politiques de préservation du patrimoine ne verront le jour qu’au 19e siècle, voire au 20e siècle ».

En parallèle, le chercheur a retrouvé plusieurs sources écrites et iconographiques d’érudits, qui reconnaissaient la valeur historique de ces vestiges et cherchaient à en garder trace via une description ou un dessin.

La muraille romaine de Tongres décrite par plusieurs érudits modernes © Olivier Latteur

Un attrait pour le passé qui n’est pas nouveau

Cette étude montre, par ailleurs, que des intellectuels commençaient déjà à s’intéresser scientifiquement à ces objets. « On voit ainsi apparaître dès le 16e siècle les premières fouilles archéologiques. Elles poseront les fondations de l’archéologie moderne, qui verra le jour 300 ans plus tard.»

Les travaux du Dr Latteur permettent non seulement de mieux comprendre le rapport qu’entretenaient les Pays-Bas méridionaux et la principauté de Liège avec leur passé antique. Mais rappellent aussi que les traces matérielles dont on dispose aujourd’hui ne sont pas le fruit du hasard.

« Ces vestiges ont été sauvés parce qu’ils revêtaient une signification, une valeur pour les sociétés du passé. Or, cet aspect de la réception du patrimoine sur le long terme reste encore trop rarement mis en évidence par nos sociétés actuelles », conclut le chercheur.

Le mausolée d’Igel aujourd’hui – © Olivier Latteur

 

Comment faire aimer les maths ?

Durée de lecture : 5 min

Série (2/2) Discussion avec un médaillé Fields

Une médaille Fields, c’est un peu comme un Prix Nobel. Quand on bénéficie d’une telle reconnaissance, on est énormément sollicité. Depuis l’été dernier, Hugo Duminil-Copin, médaillé Fields 2022, ne cesse d’en faire l’expérience. Il met notamment son énergie dans des actions de communication sur les sciences et les mathématiques. Une de ses priorités concerne l’image des mathématiques et leur perception.

Les maths, souffriraient-elles donc d’une image tellement rebutante, notamment auprès des jeunes ?« Je ne suis pas certain que les jeunes n’aiment pas les mathématiques », dit-il. « Une étude récente en France montrait que les maths étaient la deuxième matière préférée des jeunes de 10 à 15 ans après le sport. Par contre, les mathématiques servent trop souvent d’étalon pour fixer l’accès à diverses formations. Y compris des formations supérieures où elles ne sont pas nécessairement centrales. Je pense à la médecine ou à des matières scientifiques qui ne seraient pas grandes consommatrices de mathématiques, comme la biologie. Les mathématiques se retrouvent donc cantonnées à un rôle d’outil de sélection. C’est une erreur. On perd ainsi le côté plaisant de faire des mathématiques. Si les enfants n’ont pas accès à ces aspects ludiques, ils se retrouvent à détester les maths. Et cela, c’est dommageable. Il faut arriver à faire sortir les mathématiques de ce rôle d’évaluation. »

Ne pas diaboliser l’erreur

Le mathématicien pointe aussi un autre problème dans l’imaginaire collectif concernant sa discipline : la place de l’erreur. « La place de l’erreur est devenue complètement castratrice dans l’enseignement des mathématiques », estime-t-il. « Il est important de combattre cette vision des mathématiques comme quelque chose où l’erreur est sacralisée et catastrophique. Dans mon travail de recherche, au quotidien, j’enchaîne erreur sur erreur. Face à un problème, je ne trouve pas tout de suite la solution. Or, l’erreur est productrice de créativité. On ne peut pas être créatif sans faire des erreurs. C’est comme un jeune enfant qui apprend à marcher. Il se lève fait un pas, tombe… Mais il recommence, il réessaie, encore et encore. Et, au final, il comprend et marche. »

« Notre cerveau fait que l’on apprend par essai et erreur. Les mathématiques n’échappent pas à cette règle. Ce n’est pas une façon de penser différente, qui échapperait aux bassesses de l’esprit humain. Non, c’est une connaissance comme les autres. Une façon de fonctionner de notre cerveau qui ressemble à toutes les autres façons de créer et de penser. Les personnes qui apprennent le mieux sont celles qui osent se lancer, qui tombent et qui se relèvent. »

Le bénéfice des travaux de groupes

Comment rectifier le tir ? Hugo Duminil-Copin a une recette : le travail collectif.

« Dans le processus d’apprentissage, il faut éveiller la curiosité. Cela autorise les erreurs. Cela permet de ne pas être parfait du premier coup. Les enseignants font des efforts dans ce sens. Mais les programmes d’enseignement suivent-ils cette dynamique ? C’est moins clair. Un point important dans ce contexte, c’est le travail en groupe. Les mathématiques s’y prêtent très bien. On se fait toujours mieux expliquer quelque chose en mathématiques par quelqu’un qui vient de comprendre plutôt que par quelqu’un qui maîtrise le concept depuis des années. »

« Quand on fait un travail de groupe, la première personne qui va comprendre va en général tirer les autres vers le haut. Elle aura fait les mêmes erreurs que celles sur lesquelles les autres sont encore bloqués. La première personne qui a compris va donc pouvoir expliquer la solution aux autres, mais aussi leur expliquer où et pourquoi ils commettent des erreurs. »

Comme une sculpture

« Enfin, il faut aussi se garder d’enseigner les mathématiques pour les mathématiques. Faisons un parallèle avec une autre matière scolaire : la langue, le français. Il y a peu de gens qui aiment le français pour le français, pour la dictée, pour les règles d’orthographe, pour les règles de grammaire. Le plaisir est ailleurs. C’est parce qu’on fait de la lecture, qu’on échange sur des textes qu’on a lus et appréciés et qu’on les partage avec les autres que la langue est belle. Pour les mathématiques, cela devrait être la même chose. »

« On enseigne encore trop les mathématiques comme un outil, pas comme une discipline qui a une valeur en soi. On est tombé dans un piège qui est presque sociétal. On nous apprend à répéter les choses plutôt qu’à les découvrir. On apprend à refaire. Ainsi, on apprend à faire une division puis on en fait 500. Bien sûr, les automatismes, c’est important. Cela fait partie de l’apprentissage. Mais l’automatisme doit venir après la découverte, pas avant. »

« Les mathématiques, c’est finalement comme une sculpture. On dégrossit, on coupe dans le lourd.  On affine ensuite. On comprend. Pour pouvoir le faire, il faut oser dire des bêtises. C’est ainsi que sont nées la plupart des bonnes idées que j’ai eues dans ma vie de mathématicien.»

Modèle d’Ising, percolation et café: les passions d’Hugo Duminil-Copin, médaillé Fields 2022

Durée de lecture : 4 min

Série (1/2) Discussion avec un médaillé Fields

Les cheveux en bataille, hyperactif, mais néanmoins souriant et surtout excellent vulgarisateur, le Pr Hugo Duminil-Copin s’est vu attribuer la médaille Fields en 2022. Cette récompense, décernée tous les quatre ans, est souvent présentée comme étant le prix Nobel des mathématiciens. Mais, contrairement aux prix Nobel, elle n’est remise qu’à de jeunes scientifiques, des chercheurs âgés de moins de 40 ans.

Invité voici quelques jours à l’ULB pour un séminaire scientifique, puis à une session de l’opération « Science & Cocktails » organisée par le Pr Stéphane Detournay (Physique théorique et mathématique, ULB), le Pr Hugo Duminil-Copin a le verbe facile et enjoué. « Parce que non, le métier de mathématicien n’est pas un travail d’ermite. Et oui, pour progresser dans ce domaine, il faut partager, discuter avec les autres », confie-t-il.

Les transitions de phase

« Mes travaux à l’Université de Genève et à l’Institut des Hautes Études Scientifiques (IHES) de Bures-sur-Yvette (près de Paris) portent principalement sur les transitions de phase, le modèle d’Ising et la percolation », lance-t-il. Dit comme cela, cela semble un peu obscur. On peut compter sur le mathématicien pour rendre les choses plus limpides.

« Les transitions de phases, ce sont des changements brusques de comportement d’un système », explique-t-il. « Il peut s’agir d’un système physique, d’un système chimique, d’un système lié au comportement de groupes humains. Le concept de système est en réalité particulièrement vaste. »

Le mathématicien prend l’exemple de l’eau. « Quand on la refroidit à zéro degré, elle devient de la glace. Les mêmes molécules changent complètement de comportement en passant sous zéro degré. De liquides, elles deviennent solides et, dans le même temps, elles prennent plus de volume. Que se passe-t-il lors de ce changement de phase ? C’est ce que je tente d’expliquer avec les mathématiques. »

Le chercheur s’intéresse surtout à deux phénomènes de transition de phase: le problème de l’aimantation et celui de la porosité.

« Si on chauffe un aimant à une certaine température (appelée température de Curie), l’aimant perd son aimantation. Il arrête d’être un aimant », explique-t-il. « La température a donc un impact sur la possibilité d’un matériau à être un aimant ou non. Mon but est de comprendre cette transition de phase entre un matériau paramagnétique et un matériau ferromagnétique. »

Le tassement du café et les labyrinthes aléatoires

L’autre phénomène de transition de phase qui l’occupe, celui que le mathématicien préfère, concerne la porosité des matériaux. « On parle souvent de percolation, avec l’image du café qui percole quand on le prépare », reprend-il. « En fonction du tassement du café moulu, les résultats seront très différents. Soit on le tasse trop. Il sera alors peu poreux et ne laissera pas passer l’eau. Soit il est trop peu tassé, et sera trop poreux. L’eau va passer très facilement, et on obtiendra au final un jus de chaussette. Concernant cette porosité, la transition est également très rapide. C’est ce qui fera un bon café ou un jus insipide. »

Pour comprendre ces phénomènes de porosité, les mathématiciens ont introduit la notion de labyrinthes aléatoires ou de graphes aléatoires. « On s’intéresse aux propriétés d’« interconnectabilité » de ces graphes aléatoires. C’est cela la théorie de la percolation », précise Hugo Duminil-Copin.

L’universalité des modèles mathématiques

Pour les aimants, le modèle mathématique qui concerne cette transition de phase s’appelle le modèle d’Ising. « Celui-ci permet, d’une façon générale, de comprendre les phénomènes coopératifs. Il est basé sur les observations du comportement des aimants, bien connu des scientifiques. Quand on met deux aimants ensemble, le pôle positif de l’un veut rejoindre le pôle négatif de l’autre: les aimants veulent s’aligner. C’est une sorte de modèle de coopération pour lequel on retrouve des applications dans de nombreux autres domaines. Par exemple, la diffusion de rumeurs. Le modèle d’Ising permet aussi de comprendre les réseaux de neurones. »

« Un modèle, c’est comme une caricature. Une caricature mathématique qui explique ce qui se passe dans le système », précise-t-il.

« Là où les phénomènes physiques n’ont aucun lien entre eux, les modèles mathématiques d’Ising et la théorie de la percolation ont un lien très fort », assure le mathématicien. « Il est possible d’utiliser le modèle de la percolation pour comprendre le modèle d’Ising, et vice-versa. C’est là mon travail de tous les jours. J’utilise l’abstraction du modèle mathématique pour créer des liens entre des phénomènes physiques différents. Et pour, finalement, utiliser le meilleur des deux pour mieux comprendre ce qui se passe dans la Nature. Ce qui fait la force des modèles mathématiques, c’est leur universalité », conclut-il.

L’attribution genrée des postes de pouvoir au Parlement européen

Durée de lecture : 4 min

Si elles n’étaient qu’une poignée à siéger au Parlement après les 1res élections européennes de 1979, les femmes représentent aujourd’hui près de 40% des eurodéputés. Cet hémicycle est ainsi plus féminisé que la plupart des Parlements nationaux. Pour autant, il reste difficile pour elles d’y occuper des positions d’influence. C’est en tout cas ce que révèlent les recherches de Sophie Kopsch, doctorante FNRS au pôle politique et société de l’institut de recherche Transition de l’UNamur.

Une lasagne décisionnelle

« Ma thèse s’intéresse à l’évolution dans l’accès à trois postes haut placés : présidente de commission parlementaire, coordinatrice de commission, et rapporteuse de commission », fait savoir Sophie Kopsch.

Pour rappel, le Parlement de l’UE dénombre 751 députés, élus par les citoyens des 27 Etats membres. Leur mission : voter les lois proposées par la Commission européenne. Au préalable, les textes sont étudiés, et éventuellement modifiés, au sein des 20 commissions que comprend l’assemblée.

Chaque commission est dirigée par un-e Président-e, choisi-e par ses membres. Ceux-ci sont désignés par les groupes politiques, qui assignent aux commissions un certain nombre de députés, selon le nombre de sièges dont ils disposent au Parlement.

Par ailleurs, ces groupes politiques nomment un coordinateur ou une coordinatrice qui jouera le rôle de porte-parole. Ce sont eux qui choisissent le rapporteur ou la rapporteuse de commission, qui a pour tâche de rédiger un rapport sur le texte étudié par la commission. Un rapport sur lequel se baseront les eurodéputés pour voter favorablement, ou non, un projet de loi.

Evolution du nombre femmes à des postes pouvoir depuis 1979 comparativement au nombre d’eurodéputées © Sophie Kopsch

7 Présidentes pour 16 Présidents

En analysant la carrière politique des 3.654 eurodéputés qui ont siégé entre 1979 et 2019, Sophie Kopsch a constaté une évolution positive dans l’attribution de ces fonctions importantes à des femmes, proportionnellement au nombre d’eurodéputées élues. A une exception près : le poste de Présidente de commission.

« Seul un tiers de ces postes est alloué à des femmes », précise le Pr Jérémy Dodeigne, Président de l’institut de recherches Transitions et promoteur de la thèse en cours. Aussi, sur les 20 commissions et 3 sous-commissions parlementaires que compte le Parlement de l’UE, 7 sont actuellement présidées par des femmes.

« Elles restent néanmoins plutôt bien représentées, puisque 38% du Parlement européen est composé de femmes parlementaires. Même si on est loin de la parité, le fait d’être une femme ne réduit donc pas la probabilité d’être désignée Présidente de commission, ce qui est un résultat fondamental », ajoute-t-il.

Evolution du pourcentage de femmes et d’hommes nommés aux postes de Présidents de commission parlementaire © Sophie Kopsch

Une répartition genrée des compétences

D’après la doctorante et son promoteur, le problème n’est pas tant la sous-représentation des femmes à ces positions d’influence, mais que leur nomination se réalise, souvent, selon un schéma genré. « Nous avons effectivement noté que certaines commissions, et les postes importants en leur sein, sont plus difficiles d’accès aux femmes », constate la doctorante.

La commission du « budget », des « affaires étrangères », ou encore celle du « commerce international », restent majoritairement présidées par des hommes. Quand la commission des « pétitions », ou celle des « libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures », incluent surtout des femmes.

« C’est aussi quelque chose qu’on remarque au niveau national dans la distribution des portefeuilles ministériels », rappelle le Pr Dodeigne. « Les ministères des Affaires sociales ou de l’Enseignement sont typiquement allouées aux femmes ministres, alors que ceux des Affaires étrangères ou de la Défense sont généralement réservés aux hommes. »

Comparaison du nombre de femmes élues dans les Parlements nationaux et au Parlement de l’UE © Inter-Parlementiary Union 2021

Des pratiques politiques à revoir

Au sein du Parlement européen, ce déséquilibre serait à imputer aux pratiques internes des partis et des commissions. « On sait, grâce à d’autres recherches, que certaines pratiques sont très genrées, voire machistes », signale le Pr Dodeigne.

La suite de l’étude visera à déterminer par quels mécanismes et critères ces coordinateurs, rapporteurs et présidents de commissions sont sélectionnés. « Bien qu’il existe des règles, ces processus de nominations sont encore très opaques », note la chercheuse.

A terme, cette étude permettra d’identifier et, surtout, de dénoncer les éventuels dysfonctionnements qui conduisent à attribuer, ou non, certains postes de pouvoir aux femmes, sur base de stéréotypes de genre.

Mieux diagnostiquer l’encéphalopathie BRAT1, une maladie neurologique néonatale

Durée de lecture : 3 min

L’encéphalopathie BRAT1 est une maladie neurologique ultra-rare du nouveau-né pour laquelle il n’existe actuellement aucun traitement. Peu connue et peu diagnostiquée, cette encéphalopathie très sévère laisse les parents sans réponse face à leurs souffrances. Une recherche internationale coordonnée par une équipe de l’UCLouvain et des Cliniques universitaires Saint-Luc décrit les caractéristiques cliniques de la maladie pour faciliter sa reconnaissance précoce. L’étude souligne également les risques de sous-diagnostic de BRAT1 et les effets pervers consécutifs à la méconnaissance de la maladie.

Une maladie génétique

BRAT1 est une encéphalopathie néonatale d’origine. Cette maladie neurologique très sévère entraîne le décès de la plupart des nourrissons quelques mois à peine après leur naissance. Il n’existe aucun traitement curatif à ce jour.

L’encéphalopathie BRAT1 se transmet de manière héréditaire selon le mode autosomique récessif : les deux parents sont chacun porteurs d’une mutation du gène responsable, avec un risque élevé de récurrence pour les grossesses successives.

Il s’agit d’une maladie considérée comme ultra-rare (touchant moins d’une personne sur 50.000). Le diagnostic est le plus souvent posé à distance du décès, au terme de très longs tests génétiques, soit un parcours éprouvant pour les familles.

Peu connue dans le monde médical, BRAT1 est très peu identifiée et diagnostiquée, laissant bon nombre de familles sans réponse face à leurs souffrances et sans possibilité de prévenir d’autres drames.

Des indications pour un diagnostic précoce

Le Pr Maria Roberta Cilio, du Service de neurologie pédiatrique des Cliniques universitaires Saint-Luc, avec l’aide d’Evelina Carapancea, doctorante à l’UCLouvain, a coordonné un vaste projet de recherche international destiné à mieux comprendre et reconnaître cette pathologie.

Le réseau de recherche établi dans le cadre de l’étude a permis de collecter les informations cliniques, neurophysiologiques et d’imageries disponibles de 19 cas de nouveau-nés atteints d’encéphalopathie BRAT1 provenant de différents centres autour du monde.

« L’analyse de ces données a permis de mieux décrire la maladie. Les bébés atteints présentent dès la naissance des contractions musculaires (myoclonies) presque constantes qui ne sont pas épileptiques. Ces myoclonies persistent même pendant le sommeil, représentant une source extrême d’inconfort pour les patients, les parents et les soignants. Par la suite, les bébés développent des crises épileptiques qui ne répondent à aucun médicament anticonvulsivant, et des épisodes prolongés d’arrêt respiratoire et de décélération cardiaque menant au décès dans les premiers mois de vie », expliquent les chercheurs.

« La description de ces caractéristiques cliniques fournit des indications aux médecins pour reconnaître les enfants atteints, prescrire un test génétique ciblé, guider une prise en charge plus appropriée, répondre aux questions des parents concernant la maladie de leur enfant et leur fournir un conseil génétique précis pour l’avenir. »

« Enfin, l’analyse des mutations révélées par cette étude pose les bases pour la recherche de traitements curatifs. »

Les effets pervers de la non-reconnaissance

À côté de ces analyses, l’étude met en évidence l’importance de la reconnaissance et du diagnostic précoce des maladies ultra-rares.

Ces dernières sont avant tout non-diagnostiquées. « Très peu reconnue ou recherchée, l’encéphalopathie BRAT1 n’existe pour ainsi dire pas aux yeux de la communauté scientifique et peu de recherches y sont consacrées. Et ce qui n’est pas diagnostiqué ne peut pas être guéri. »

« Sans recherche, aucun traitement ou aucune modalité de prévention ne peuvent être développés. La non-reconnaissance de l’encéphalopathie BRAT1 risque dès lors de laisser de nombreuses familles démunies face à de futurs drames », concluent les chercheurs.

Des thyroïdes synthétisées en laboratoire à l’ULB

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Des organoïdes thyroïdiens humains fonctionnels créés à partir de cellules souches pluripotentes. Voilà ce que sont parvenus à générer in vitro, la Dre Mirian Romitti et ses collègues de l’Institut de Recherche Interdisciplinaire en Biologie Humaine et moléculaire (IRIBHM – ULB). Après des transplantations réussies chez la souris hypothyroïdienne, couronnées par le rétablissement d’une production adéquate d’hormones thyroïdiennes, l’espoir est grand d’aboutir à de nouvelles approches thérapeutiques chez l’humain.

Conséquences dramatiques

L’hypothyroïdie survient lorsque la glande thyroïde ne fabrique pas suffisamment d’hormones thyroïdiennes (T4 et T3).

« Comme les hormones thyroïdiennes régulent de nombreux processus physiologiques impliqués dans la croissance et le métabolisme, les premiers symptômes de l’hypothyroïdie sont généralement la fatigue et la prise de poids. Mais à mesure que le métabolisme continue à ralentir, d’autres symptômes peuvent apparaître, tels que : une plus grande sensibilité au froid, la constipation, une peau sèche, des faiblesses et des douleurs musculaires, des altérations des cycles menstruels, des cheveux clairsemés, un ralentissement du rythme cardiaque, la dépression, des problèmes de mémoire, entre autres », explique Dre Romitti.

Chez le nouveau-né, l’hypothyroïdie congénitale est l’anomalie endocrinienne la plus courante. Or, un apport insuffisant d’hormones thyroïdiennes au début de la vie entraînera un retard intellectuel et de développement irréversible. Chez l’adulte, l’hypothyroïdie peut être congénitale ou causée par une ablation de la glande suite à un cancer, par exemple. Dans tous les cas, elle nécessite un supplément en hormones thyroïdiennes synthétiques tout au long de la vie.

Dosage fluctuant selon la période de vie

Or, la quantité adéquate d’hormones thyroïdiennes nécessaires varie en fonction de la croissance, lors de la puberté et d’une grossesse.

Cette fluctuation n’est pas facile à appréhender par le corps médical. Et parfois, la réactualisation du traitement avec l nouveau dosage est complexe à faire accepter, notamment chez les adolescents.

La transplantation d’un organoïde thyroïdien fonctionnel normalement régulé ajusterait l’apport d’hormones thyroïdiennes en fonction de la demande physiologique, évitant les conséquences irréversibles d’un apport mal coordonné. Un organoïde est une version miniature et simplifiée d’un organe, fabriquée in vitro en trois dimensions.

Thyroïde fonctionnelle à partir de cellules souches humaines

Ces organoïdes thyroïdiens humains fonctionnels, Dre Mirian Romitti et ses collègues de l’IRIBHM sont parvenus à les générer à partir de cellules souches pluripotentes.

« La thyroïde n’est pas un organe simple à créer in vitro. Pour y parvenir, nous avons modifié le génome des cellules souches embryonnaires humaines afin d’y induire des facteurs importants pour le développement de la thyroïde », explique Dre Romitti, chercheuse post-doctorale au sein du laboratoire de Sabine Costagliola.

« Après avoir identifié les précurseurs des cellules thyroïdiennes, nous avons utilisé plusieurs traitements connus pour rendre la thyroïde fonctionnelle, comme la TSH (principale hormone régulatrice de la thyroïde, qui aide à garantir le bon équilibre en hormones thyroïdiennes dans le sang, NDLR) et les composés anti-inflammatoires. Etant donné que la production d’hormones thyroïdiennes dépend des structures folliculaires, l’ensemble du protocole se déroule en culture 3D. » Soit dans un environnement artificiel dans lequel les cellules sont capables de se développer et d’interagir dans les 3 dimensions. Ces conditions sont similaires à celles qui existeraient in vivo. »

De la souris à l’homme

Ces « mini-thyroïdes » produites en boite de Pétri s’avèrent capables de produire des hormones thyroïdiennes in vitro. De plus, transplantées dans des souris hypothyroïdiennes, ces organoïdes rétablissent la production d’hormones thyroïdiennes, corrigeant ainsi la carence en hormones de ces animaux.

Quand pouvons-nous espérer un essai sur l’homme ? « Les transplantations en général sont confrontées à de grands défis, principalement à cause des réactions immunitaires. Pour limiter le risque de rejet du greffon, des alternatives peuvent être utilisées, comme générer des organoïdes thyroïdiens au départ de cellules souches pluripotentes dérivées de patients (iPSC). Et nous y travaillons. Des cellules de la peau (fibroblastes), du sang et d’autres sources sont reprogrammées pour devenir des cellules souches, et ensuite se différencier en tissu thyroïdien », poursuit Dre Romitti.

« En outre, le nombre de cellules nécessaires pour remplacer un organe humain ou une partie de celui-ci doit être défini avec précision et de nouvelles méthodes de production à grande échelle devront être appliquées. Dans notre cas, puisque les cellules ont été génétiquement modifiées pour générer la thyroïde, le protocole doit être adapté pour convenir aux futurs essais de transplantation chez l’homme. C’est ce que nous faisons, en adaptant le protocole pour obtenir un modèle plus applicable sur le plan thérapeutique. »

Vers moins d’essais cliniques sur animaux

« En parallèle, en utilisant ce modèle humain, nous générons des outils pour étudier les origines de l’hypothyroïdie et créer des organoïdes à partir de cellules cancéreuses thyroïdiennes pour faciliter le développement et le criblage de médicaments », précise la chercheuse.

Par ailleurs, les organoïdes thyroïdiens murins et humains sont de puissants outils pour le criblage d’un grand nombre de composés chimiques. Ainsi, « ils sont d’ores et déjà utilisés pour étudier les effets toxiques de perturbateurs endocriniens dans le cadre du projet Screened (projet Horizon 2020). »

L’utilisation d’organoïdes thyroïdiens pourrait-elle réduire la nécessité d’effectuer des tests sur des animaux de laboratoire ? « Ils peuvent, en effet, réduire le nombre d’animaux utilisés pour les tests et le dépistage de la toxicité potentielle d’un grand nombre de composés. Cependant, pour l’étude des effets systémiques des composés identifiés comme toxiques, les animaux sont encore la seule alternative pour évaluer la réaction des différents organes et l’interconnexion des effets toxiques », conclut Dre Romitti.

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