Pendant 15 ans, Nathalie de Harlez de Deulin a exploré les jardins de la principauté de Liège et des anciens Pays-Bas méridionaux. L’historienne a étudié leurs conceptions renouvelées par l’intérêt pour les voyages au XVIIIe siècle. Sur le terrain, dans les bibliothèques, les centres d’archives et de documentation.
Son essai, «Le jardin anglais», ouvre la nouvelle collection Grand Format de l’Académie royale de Belgique. Dédiée aux beaux livres.
Issu de sa thèse de doctorat soutenue à l’ULiège, ce livre, richement illustré par des plans et des photos, est publié avec le concours du Fonds de la recherche scientifique, de la Fondation universitaire de Belgique. Avec le soutien du Jardin botanique de Meise et de la Loterie nationale.
Le dessin régulier mute
«L’intérêt particulier pour l’art de ces jardins est né d’une curiosité pour l’évolution sensible du goût qui marque globalement la période des Lumières», explique l’historienne des jardins. «Mais aussi du désir de comprendre dans quelle mesure cette évolution a influencé l’esthétique des jardins.»
«Cette époque est marquée par une rupture formelle inédite dans l’histoire de l’art des jardins. La mutation du dessin régulier, issu d’une longue tradition géométrique, en tracé irrégulier dont le modèle est né en Angleterre autour de 1720.»
«L’attrait pour l’irrégularité conduit à un renouvellement complet de l’esthétique des jardins passant par de nouvelles manières de composer et de planter. La production étudiée révèle des ambitions philosophiques et encyclopédiques nourries par le Grand Tour (effectué en Europe au XVIIIe siècle par des jeunes privilégiés). Les voyages en Italie, les lectures sur la Chine. L’intérêt naissant pour le paysage et la curiosité pour l’expérimentation.»
Les jardins d’Annevoie exploitent les eaux de source
Étudier l’histoire des jardins passe inévitablement par l’aménagement particulier des jardins créés à Annevoie par Charles-Alexis de Montpellier. «Tirant parti de l’abondance des eaux de source, déjà exploitées pour les forges familiales, et sa capacité de maître de forges», raconte l’historienne. «Il met en œuvre une succession de bassins, canaux et fontaines structurant un ensemble varié alternant bosquets réguliers, allées vertes, chemins tournants et allées couvertes.»
«Malgré l’absence de plan conservé, la chronologie des aménagements est connue grâce aux comptes de la propriété qui renseignent de nombreux ouvrages hydrauliques en construction à partir de 1761. Par ailleurs, avant 1774, Charles-Alexis et son fils, l’artiste peintre Nicolas-Charles, intègrent dans les jardins quelques pièces à l’anglaise. L’alternance de scènes de goût italianisant et de gestes pittoresques ponctuels contribue à l’originalité de la composition d’ensemble.»
Le Rocher du château d’Attre
Selon la diplômée en histoire de l’art et archéologie, le geste le plus remarquable reste l’édification, entre 1780 et 1788, du Rocher monumental dans le parc classé du château d’Attre. Situé dans le village hennuyer de Brugelette qui abrite le parc zoologique Pairi Daiza.
«Le Rocher compte parmi les témoignages les plus emblématiques de la culture des Lumières. Véritable folie de pierre, il atteint près de 35 mètres de haut. Il est constitué d’un noyau de maçonnerie couvert d’un appareil cyclopéen de blocs de dolomie locale. La fabrique comprend 5 niveaux dont 2 souterrains et 3 dans la tour. Au pied de celle-ci, le cœur du dispositif est occupé par un cratère, évoquant peut-être le Vésuve. Le niveau inférieur est traversé par un impressionnant réseau de couloirs labyrinthiques. Ce cheminement aboutit à la grotte de la nymphe endormie s’ouvrant largement sur l’étang mis en eau par la Dendre.»
Belœil et son miroir d’eau
La promenade aquatique est un leitmotiv de l’art des jardins. Elle se pratique à Annevoie sur le grand canal dominant la vallée de la Meuse. Mais aussi au parc du château de Belœil dans le Hainaut.
«Entre 1761 et 1765, le prince Charles-Joseph de Ligne donne au grand miroir d’eau une nouvelle terminaison en cintre magnifiée par l’installation d’un groupe monumental de Neptune axé sur la grande vue du château», relève l’historienne.
En 1771, le prince crée le premier jardin anglo-chinois dans le domaine de chasse hennuyer de Baudour. «La disparition quasi totale des jardins et du château explique le peu d’intérêt porté à l’histoire de cette propriété.»
Pour Nathalie de Harlez de Deulin, «les jardins emblématiques traduisent les aspirations de membres de l’aristocratie ou de la bourgeoisie éclairée, hauts dignitaires ecclésiastiques, hommes d’affaires, de lettres, de sciences, maîtres de forges ou industriels dont la plupart sont acquis aux idées de la franc-maçonnerie».