Érosion à la Cité Mama Mobutu (Kinshasa) en juillet 2009 dû au manque d’entretien © Moyogo

Contrer le ravinement avec des végétaux

26 juillet 2021
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 5 minutes

Des gouffres pouvant atteindre jusqu’à 100 mètres de large et plus de 2000 mètres de long balafrent Kinshasa. Ces ravins sont la conséquence d’une violente érosion du sol par des pluies torrentielles. Romain Millecamps, de la Faculté de bioingénieurs de l’UCLouvain, a étudié la capacité d’espèces végétales à stabiliser le sol kinois. Et ce, en augmentant, par leur système racinaire, le taux d’infiltration du sol, et en diminuant l’érosivité des eaux de ruissellement par leur système aérien. Son TFE vient de remporter le prix Philippe Carlier 2020, remis par Ingénieurs sans Frontières, une ASBL de coopération au développement fondée il y a plus de 30 ans par les Associations des Alumni Polytechniques et bio-ingénieurs des universités francophones belges.

Ravin nu à Kinshasa © Romain Millecamps

Des facteurs naturels et anthropiques 

Le sol de la capitale congolaise est très sableux. Les grains de sable ayant peu de cohésion, ils rendent naturellement le sol kinois fortement érodable.

En parallèle, en réponse à la démographie croissante, des zones entières ont été déforestées pour faire place, essentiellement, à des routes et des habitations ne permettant plus à l’eau de s’infiltrer dans le sol. « Les routes goudronnées ou non – le piétinement répété induit une diminution de la perméabilité des surfaces non goudronnées – produisent la majorité des eaux de ruissellement dans les zones urbaines de Kinshasa. A cause de cette imperméabilisation, les eaux ruissellent et se concentrent en un point générant un gros flux qui provoque l’érosion », explique Romain Millecamps.

« De plus, les constructions de routes ne sont pas toujours accompagnées d’infrastructures adéquates (caniveaux, fossés) pour gérer les écoulements d’eau. Et lorsqu’elles existent, elles ne sont pas toujours suffisamment entretenues : une fois bouchées ou rompues, elles ne canalisent plus les eaux de ruissellement jusqu’en aval, mais les déversent sur les pentes. Cela concentre le ruissellement sur des surfaces réduites et augmente ainsi le risque de ravinement. »

Le problème de ravinement s’est amplifié ces dernières années, notamment, dû aux pluies davantage torrentielles suite au réchauffement du climat, et à l’exode rural. les nouveaux venus s’installent souvent dans des zones interdites, proches de ravins qui s’agrandissent au fil des crues et emportent parfois les habitations. « En plus du risque préexistant, ces habitations disposent rarement d’installations récoltant l’eau de pluie tombée sur les toitures (par exemple, des gouttières), ce qui engendre un risque supplémentaire de ravinement puisqu’elles contribuent à la production d’eaux de ruissellement. »

Test d’infiltrométrie © Romain Millecamps

Des végétaux aux pouvoirs multiples

Pour lutter contre cette catastrophe, Romain Millecamps a étudié, sur le terrain, de février à mi-mars 2020, le pouvoir de rétention du sol de 14 plantes ligneuses et de 23 herbacées, naturellement présentes dans les ravins.

Le rapport entre la surface latérale et celle de la projection horizontale de la couronne de chaque espèce ligneuse a été évalué, ainsi que le potentiel d’obstruction de sédiments. Pour les herbacées, la densité de masse sèche, la densité racinaire et la densité de surface des tiges rigides ont été calculées.

En sus, Romain Millecamps a eu recours à des tests d‘infiltrométrie. « Cette technique consiste à irriguer une parcelle de 1m2, avec un volume d’eau connu et d’une intensité connue. Puis à collecter l’eau de ruissellement en aval de cette parcelle. Le coefficient de ruissellement et le taux d’infiltration diffèrent selon les espèces végétales présentes sur les parcelles. Et permet de comparer leur efficacité.»

Des résultats prometteurs

Suite à la variabilité de la teneur en matière organique dans le sol, celle-ci impactant le taux de ruissellement, les résultats obtenus devaient être affinés via analyses chimiques. Mais les échantillons de sol prélevés par l’étudiant n’ont pu être analysés à son retour en Belgique. En effet, lors du premier confinement, les laboratoires de l’UCLouvain étaient fermés.

« Parmi les espèces de plantes ligneuses, Bambusa vulgaris et Syzygium guineense semblent plus efficaces que les autres espèces étudiées en ce qui concerne la diminution de l’érosivité du ruissellement. De plus, selon la littérature, la première est efficace dans la stabilisation du sol via son système racinaire », explique Romain Millecamps.

Bambusa vulgaris © Romain Millecamps

En ce qui concerne les espèces de plantes herbacées, une espèce se démarque : Diodia sarmentosa. « Celle-ci possède une densité de surface de tiges rigides relativement élevée, mais aussi une densité racinaire élevée. Cette espèce semble être la plus efficace pour diminuer l’érosivité du ruissellement et pour stabiliser le sol. Les tests d’infiltrométrie ont montré que le taux d’infiltration des parcelles couvertes par cette espèce était bien plus élevé que celui de la parcelle nue considérée comme témoin », poursuit-il.

Diodia sarmentosa © Romain Millecamps

« Cependant, la faible échelle spatio-temporelle et la répétabilité limitée des mesures ne permettent pas encore de confirmer indéniablement cette hypothèse », insiste-t-il. En effet, ce TFE s’est concentré sur les plantes ligneuses et herbacées de 12 des quelque 500 ravins que compte Kinshasa. Ensuite, les végétaux analysés n’étaient pas tous au même stade de croissance : une plante installée depuis longtemps présente un système racinaire plus dense qu’une jeune plantule.

« D’autres études sont nécessaires avant de pouvoir déterminer les espèces les plus efficaces pour lutter contre le ravinement à Kinshasa. Un étudiant kinois qui m’accompagnait sur le terrain a prévu de réaliser son mémoire de fin d’études sur cette même problématique, mais dans des ravins différents avec une végétation différente », conclut-il.

Ravin végétalisé à Kinshasa © Romain Millecamps
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