Les coquilles d’œufs brillent dans l’invisible

29 octobre 2020
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 5 min

Vous ne regarderez plus les œufs de poule de la même manière. Des chercheurs en photonique de l’unité de recherche LPS (laboratoire de physique du solide) de l’UNamur ont mis au jour la structure de leur coquille. Elle est percée de micro-orifices, réémettant de la lumière ultra-violette. Les rôles joués par cette structure photonique sont en cours d’investigation. Une recherche fondamentale en physique menée conjointement avec des biologistes et des chimistes.

Tout commence en 2015 avec une publication scientifique émanant d’un groupe de chercheurs gantois. Sébastien Mouchet, chercheur qualifié FNRS, est intrigué par ce travail qui met en évidence que des coquilles d’œufs oiseaux rétrodiffusent la lumière lorsqu’elles sont traitées chimiquement.

« En l’absence d’explications physiques dans la littérature scientifique, avec l’aide de Mathieu Ladouce, chercheur au sein du laboratoire, nous avons démontré que même sans traitement chimique, les œufs de volatiles rétrodiffusaient les ultraviolets », explique le docteur Mouchet.

Des cavités rétrodiffusent la lumière

Qu’entend-on par rétrodiffusion ? Ce principe de physique, basé sur la théorie de diffusion de Mie, fait que les nuages nous paraissent blancs. Les gouttelettes en suspension dans l’air qui les constituent reçoivent la lumière du soleil de façon directe, et la réémettent dans toutes les directions.

« Dans les œufs, le rôle des gouttelettes en suspension dans de l’air est joué par des pores percés dans la coquille en calcium. »

Des observations au microscope électronique ont révélé la présence de petits orifices dans la partie calcifiée de la coquille à des profondeurs allant de 20 μm à 240 μm à partir de sa surface externe.

Les micro-orifices sont percés dans la coquille à des profondeurs allant de 20 μm à 240 μm à partir de sa surface externe © Mathieu Ladouce / LPS UNamur

« Pour l’étude de ces pores, nous avons collaboré avec des chimistes experts en porosimétrie, afin de les quantifier en termes de taille, de distribution, etc. », explique le physicien. « Ensuite, nous avons développé un modèle optique de ces orifices, lequel a alimenté un programme informatique de simulation numérique. Celui-ci a clairement confirmé que ces pores étaient bien à l’origine de la rétrodiffusion des ultraviolets. »

Les chercheurs namurois ont examiné les œufs de couleur beige de trois espèces de volailles : plusieurs races de poules, une de cailles et une de cannes. Ils ont constaté des différences au sein du réseau de cavités percé dans les coquilles de leurs œufs.

« Si toutes les cavités sont sphériques, on observe néanmoins différents diamètres et différentes densités de pores. Il y a également des variations de couleurs ultraviolettes rétrodiffusées. Nous sommes en train de les analyser », poursuit Sébastien Mouchet.

Image de microscopie électronique de la structure de la coquille de 3 races de volaille révélant la présence de petits pores sphériques © Mathieu Ladouce / LPS UNamur

Les oiseaux voient dans l’ultraviolet

Le physicien, inscrit dans la mouvance du biomimétisme, cherche à comprendre les aspects biologiques sous-jacents à la rétrodiffusion de la lumière UV.

Avant d’aller plus loin, il faut préciser que la vision des oiseaux est différente de celle de l’homme. Ils sont mieux dotés que nous. Alors que l’œil humain, pour sa vision diurne, compte 3 sortes de photorécepteurs (cônes pour la lumière bleue, cônes pour la lumière verte, cônes pour la lumière rouge), les oiseaux en ont un quatrième dévolu aux ultraviolets. Ils voient donc des choses qui nous sont invisibles.

Reconnaître les œufs de son espèce et les protéger des ultraviolets

« Voici quelques hypothèses pour expliquer le rôle de la rétrodiffusion des ultraviolets par les œufs: cela pourrait être un moyen de reconnaître les œufs appartenant à sa propre espèce. Dans le cas d’un œuf pondu par un oiseau ‘parasite’ dans le nid d’une autre espèce pour le faire couver, si les parents sont capables de le distinguer de leur(s) propre(s) œuf(s), ils vont pouvoir protéger leur espèce. »

Une autre hypothèse est celle de la protection contre les ultraviolets du soleil. Au sein de l’œuf, il y a un embryon, très sensible à ces rayons dégradant l’ADN. La rétrodiffusion, donc l’envoi des rayons UV vers l’extérieur de l’œuf, pourrait jouer un rôle protecteur du fœtus et de son code génétique.

Pour affiner ce point, les chercheurs vont bientôt se pencher spécifiquement sur les œufs d’autruche. Ce grand volatile pond, en effet, sur un terrain plat et assez ensoleillé. Ses œufs ne sont pas tous couvés physiquement par l’animal, subissant dès lors une forte exposition aux ultraviolets.

« Sur base de notre étude, il semblerait que d’autres espèces présentent les mêmes caractéristiques. Une étude est en cours en collaboration avec des chercheurs de l’université de Gand afin de déterminer le rôle biologique de ces structures poreuses, et les implications de la rétrodiffusion dans les ultraviolets. Un autre volet pourrait se concentrer sur les prédateurs et essayer de répondre aux questions telles que le lézard et le renard, voient-ils les ultraviolets ? Est-ce que la rétrodiffusion des coquilles les aide à débusquer les œufs ? Ou bien est-ce que les ultraviolets jouent un rôle de camouflage pour certains œufs ? », conclut Dr Sébastien Mouchet.

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